Tricot Machine : L’étoffe du tricoteur
Trois ans après la parution de son premier album, Tricot Machine revient, l’innocence du débutant en moins. Symboliquement intitulé La Prochaine Étape, ce deuxième disque témoigne d’un processus de composition aussi difficile que réconfortant.
Certains aiment, d’autres pas…
Qu’on les adore ou qu’on les déteste…
Voilà comment s’amorcent la majorité des textes écrits sur Tricot Machine depuis son arrivée dans le paysage musical québécois. Naïf, enfantin, Passe-Partout, bébé, gnangnan… Tout a été dit. Assez pour que Catherine Leduc et Matthieu Beaumont cessent de lire les articles les concernant. "Je trouvais ça dommage parce qu’on n’avait provoqué personne, poursuit Matthieu. À la limite, on a fait plus de bien que de mal, mais on a quand même exaspéré certaines personnes, qui ont eu besoin de le dire publiquement. On s’est exposé, et dans ces cas-là, tu ne peux pas plaire à tout le monde."
Reléguer l’opinion publique aux oubliettes a été le premier pas vers le processus de composition de La Prochaine Étape, successeur du premier disque éponyme vendu à près de 40 000 exemplaires. "Notre premier album est un bijou de création, confie Catherine. Une collection de chansons confectionnées en toute liberté, sans aucune arrière-pensée. On nous a qualifiés de naïfs, c’était évident. On ne savait pas ce qu’on faisait à l’époque. C’était des chansons composées sans savoir qu’elles deviendraient publiques un jour. Cette fois, on s’est questionné jusqu’à ce qu’on réalise qu’on n’avait aucune emprise sur la perception de Tricot Machine. Faire une pause pour composer un nouveau disque n’est pas facile. T’es pris avec tes peurs, tes appréhensions, tes insécurités. Tu dois arriver à tout mettre de côté et produire un disque qui te ressemble."
Plusieurs chansons de La Prochaine Étape témoignent de cette réflexion. Le constat est bien sûr criant dans la pièce-titre, mais aussi flagrant dans Défier les rites et J’ai des allumettes. "Et au risque de déplaire / Faisons ce qui nous semble bon", y chante la musicienne. Si parler de la pression entourant la composition d’un deuxième album est devenu un cliché journalistique récurrent, difficile d’en faire abstraction dans le cas Tricot Machine. "C’est après avoir composé La Prochaine Étape, Défier les rites et Radar que j’ai compris la ligne directrice du disque", constate Matthieu.
Sérieuses, lyriques et surtout plus profondes que naïves, à l’image des Peaux de lièvres ou du Trou immortalisées sur le premier compact, les trois pièces donnent le ton à un CD plus mature. Les arrangements de cuivres ont fait place à des partitions de cordes, et la présence accentuée de choeurs ajoute au spectre sonore. On y sent toujours une naïveté, mais celle-ci demeure plus rafraîchissante qu’enfantine. Les fans ne seront pas dépaysés, et les détracteurs ne trouveront pas de nouvelles munitions pour attaquer la bonté utopiste ou la convivialité exagérée du combo. Matthieu: "Composer ces trois pièces nous a permis de savoir ce qu’on voulait. Les Mitaines, c’est une bonne pièce, on va continuer de la jouer, mais si elle avait été composée dans le processus du deuxième disque, elle aurait été écartée."
La colle et le bâton
Malgré cette quête de maturité musicale, l’imagerie Tricot Machine reste bien ancrée dans l’artisanat. De quoi irriter certains pour qui le bricolage est l’affaire de bambins de 3 ans, d’éducatrices bienveillantes et de CPE de quartier. En collaboration avec le graphiste Atanas Mihaltchev, le groupe a développé une pochette de disque incluant une collection de figurines à confectionner, par lesquelles sont représentées les 14 chansons. En combinant ceci à des vidéoclips axés sur l’imaginaire et aux nombreuses séances photo où le duo a dû se plier au jeu de photographes interpellés par son aura candide, Tricot Machine est, avouons-le, aux antipodes de la virilité. Une situation qui n’affecte en rien le chromosome Y de la formation. "Je trouve plutôt qu’on conserve un bon contrôle sur notre univers à travers les pochettes, les photos, les couvertures de disques, les vidéoclips. Poser au milieu de fleurs ne me dérange pas. C’est pas trop viril, mais c’est pas fifille non plus. Je suis pas mal plus hippie que punk. J’ai pas besoin de tatouages ou d’éclairs pour me sentir homme. Notre présentation artistique est ludique, organique et sincère. J’ai jamais senti ma virilité en danger."
Mettons maintenant nos préjugés de côté et découpons cette satanée pochette. L’arc-en-ciel dessiné dans un coeur semble plutôt facile à fabriquer.
Tricot Machine
La Prochaine Étape
(Grosse Boîte / Select)
À écouter si vous aimez / Beau Dommage, Richard Desjardins, Coeur de Pirate