Gilles Bellemare : Le casse-tête Mathieu
Musique

Gilles Bellemare : Le casse-tête Mathieu

Grâce à un travail minutieux, Gilles Bellemare a reconstitué le Quatrième Concerto pour piano et orchestre d’André Mathieu. Cette oeuvre sera interprétée samedi par le pianiste Alain Lefèvre et l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières lors du concert Lefèvre et Mathieu: une rencontre.

Joint un après-midi au téléphone, Gilles Bellemare le confirme: reconstituer le Quatrième Concerto pour piano et orchestre d’André Mathieu s’est avéré une aventure rocambolesque. C’est que pour redonner les traits d’origine à cette oeuvre magistrale, il ne possédait que de très maigres indices. "Mathieu nous a laissé une douzaine de pages manuscrites écrites à la va-vite, des esquisses du troisième mouvement qui ne font même pas une minute de musique! Tout le reste, c’étaient des esquisses sonores qu’il enregistrait en improvisant", explique-t-il en se remémorant la lourdeur de la tâche.

L’ancien chef de l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières a donc dû se fier à son instinct et à sa connaissance de l’oeuvre du compositeur prodige pour relever ce défi. Il en résulte un concerto représentatif du courant postromantique. "Mathieu est très près de l’expression de Rachmaninov avec une volonté d’être un peu moderne comme Prokofiev. Donc, mon travail, ce n’était pas de faire une lecture du Quatrième Concerto avec la musique que les gens peuvent craindre, la musique contemporaine d’aujourd’hui [la spécialité de Bellemare], mais de réécrire les partitions comme Mathieu l’aurait fait. Ça m’a demandé une grande discipline du début à la fin", convient-il. Une qualité que ne possédait nullement le pianiste mort de manière prématurée à l’âge de 39 ans. "C’est drôle parce qu’il y a des gens qui disent que, comme c’est plus organisé, ça met Mathieu à un niveau qu’il n’avait jamais atteint. Je comprends… Je pense que Mathieu n’aimait pas la discipline. Il était tellement instinctif. Il ne s’arrêtait pas à des détails comme écrire une partition, s’exclame Gilles Bellemare. C’est con, mais c’est ça. Il ne faut pas oublier le type de vie qu’a mené ce type-là. Il n’y a aucune comparaison. Petit garçon, il a fait une tournée internationale en Europe. Il était une grosse vedette. Ici, lors de ses concerts, il se produisait devant des salles pleines. Et ce n’était pas du Mozart ou du Beethoven qu’il jouait, mais du Mathieu, des oeuvres qu’il avait composées vers l’âge de quatre ou cinq ans!" À cela, Gilles Bellemare ajoute le tempérament difficile du musicien, ses problèmes d’alcool, sa difficulté à vivre de son art.

UN HEROS

Alors qu’on s’apprête à clore l’entretien, Gilles Bellemare, qui dirigera l’OSTR pour le concert intitulé Lefèvre et Mathieu: une rencontre, nous demande si on a eu l’occasion de parler avec Alain Lefèvre, le pianiste invité. La question est suivie d’une réponse négative. Du coup, il ajoute: "Reconstituer une oeuvre quasi inexistante, je n’aurais jamais pu faire ça sans la générosité d’Alain Lefèvre. Il travaille sur le phénomène Mathieu depuis une vingtaine d’années, parce qu’il y croit en tant que pianiste mais aussi en tant que compositeur. Lui, ce qu’il veut, c’est redonner au Québec un héros que la population a ignoré ou n’a pas vu à l’époque. Je pense que c’est extrêmement louable. Sans lui, probablement que l’oeuvre de Mathieu dormirait encore dans des caisses quelque part… "