Marjo : Love-moi
Marjo réfléchit à ses oeuvres au moment où elle les expose sous un jour nouveau et nous gratifie, pour l’heure, d’un peu de sa fragile superbe.
Marjo n’est plus blonde. De loin, on la reconnaît à peine. Elle dit, coquette et convaincue, en gesticulant comme une Italienne: "No no non monsieur, c’est fini pour toujours, la blonde, je suis tannée d’avoir de la teinture dans les cheveux!" Est-ce la fin d’une époque? Le bilan des deux décades où elle a dominé les palmarès d’ici?
Dans ce petit bar qui sent la bière et le vernis, elle se souvient mais ne se rend pas vraiment compte que de Chats sauvages à Doux, ces étés pleins d’amour et de nostalgie furent une des rares choses sur lesquelles le Québec a pu rebondir, apolitique, après ses défaites de la fin des années 80.
1975, cégep de Bois-de-Boulogne: "J’étais modèle, styliste, photographe. On allait à la campagne écouter l’écho. Ç’a été le premier endroit où je me suis entendue chanter." Mais elle vient du centre-ville, "coin Clark et Beaubien, en plein milieu de Montréal: quatre gars, deux filles, un père flic. Un type très tendre, dit-elle, qui a fait dix métiers"…
Elle devient à 18 ans l’égérie de deux, trois garçons: un photographe et puis un guitariste: "Je voulais m’exprimer, j’avais du fun artificiel, mais je ne me voyais pas faire de la musique." Elle rend grâce aux amis des amis, échappés d’Offenbach, qui la baptisent "chanteuse" dans un camion-studio stationné dans une ruelle de Verdun. "Heille, moi, chanteuse? Ils ont vu quelque chose que je ne voyais pas!"
En 1978, Marjo crie Cash-moé attifée comme Freddie Mercury dans son deux pièces kétaine en Lycra rouge et noir. La chanson vulgaire et rugueuse domine les palmarès. Quoiqu’elle considère avoir été "plutôt sage", ce seront des années de galère "illégale": "Je devenais le dernier garçon d’un band de garçons. C’était direct, pur et dur! Je suis tombée dedans: la poudre, le party, ça faisait du bien. Mais pas de hasch, ça pue…"
En 81, Marjolène la rockeuse devient Marjo. Elle se fond dans son Némésis, le guitariste Jean Millaire. Elle est mortellement amoureuse, il compose, elle écrit… avec des dictionnaires, fait les librairies, lit de la poésie. Écrire est difficile. Elle apprend mais ne comprend rien au business. Elle déteste Chats sauvages qui vendra 350 000 copies: "Ça ne voulait rien dire, on ne peut pas donner juste pour donner quand les chansons s’accumulent. J’ai été tellement étonnée que ça marche."
J’aurais cessé d’exister
Ce seront, ensuite, des chansons de deuil et de départ. De plus en plus douces, racontant la peur d’aimer, la peur de perdre. Elle dit: "J’étais si timide, c’était devenu si intime. Je me cachais pour écrire. Je voulais que la vie s’arrête. S’il avait fallu qu’il me laisse, j’aurais cessé d’exister, il n’y aurait plus eu d’air dans mes poumons."
Elle est désormais célibataire, heureuse, marrante, extravertie. Mais au-delà d’un amour passion-mort qui fut tumultueux, elle aimerait éviter la suite de cette conversation. Elle préférerait parler des thèmes de ses 58 ans: l’eau vive et les étés, sa passion du jardinage. Au détour du siècle, elle a refait plein de disques doux, des duos qui marchent à mort, avec Antoine Gratton et "monsieur Vigneault, qui est comme mon père"… Elle a fait des allergies, vendu sa maison de Charlevoix, s’est enfuie à Morin-Heights… Reste que…
"Papa avait laissé traîner une arme chargée quand j’avais 10 ans; mon frère de 5 ans a tué ma soeur Lorraine d’une balle dans la tête. Ma mère criait, un enfant dans les bras… et moi je n’arrivais pas à appeler l’ambulance." Elle a écrit là-dessus: C’est ça la vie, en pleurant à chaudes larmes. C’est un double regret: la chanteuse se sent adulée, l’auteure, déconsidérée: "Je pense qu’on ne me voit pas à ma juste valeur. Ça rentre dans une oreille et ça sort par l’autre. On dirait que je ne suis personne…"
Le 8 avril à 20h
À la salle J.-Antonio-Thompson
Marjo et ses hommes volume 2
Marjo
(Sphère Musique)
À écouter si vous aimez /
Le rock au féminin, les duos, la nostalgie