Chloé Sainte-Marie : La belle ensauvagée
Chloé Sainte-Marie monte sur scène pour entonner les touchants récits d’origines de Je sais que tu sais, portée par deux ailes de bois et un immense coeur de battante.
À l’automne dernier, Chloé Sainte-Marie faisait paraître un album empreint de grâce austère, à la fois moderne et tout près des origines. L’interprète sensible a fait un louable effort d’empathie en apprivoisant une langue pas facile d’approche, l’innu, et des choeurs bouleversants magnifient ces chansons comme un grand vent qui s’élève. On a longuement résisté à la tentation de lire la traduction des textes de Philippe McKenzie dans le livret; l’interprétation à la fois austère et attendrie de Chloé traduit tout ce qu’il y a à comprendre des textes en eux-mêmes, et peut-être même plus. "Quand je choisis une chanson, c’est parce qu’elle me touche, pour son texte, mais aussi à travers l’émotion qu’elle véhicule. Je me suis laissée guider par les mélodies de Philippe McKenzie; j’ai écouté les signes, les sons, et la façon de procéder s’est imposée d’emblée. C’est un album sauvage, organique et viscéral; le spectacle l’est aussi."
Ce spectacle, Chloé Sainte-Marie a la force inouïe de le porter à bout de bras malgré la mort de son amoureux-cinéaste Gilles Carle le 28 novembre dernier. "Nous l’avons élaboré avec Gilles, depuis la chambre d’hôpital, sans pouvoir travailler à notre rythme habituel en raison des nombreuses réunions avec les médecins, des visites d’amis, etc. Je n’ai jamais envisagé d’annuler quoi que ce soit. Ce show-là, c’est ma source de vie, une planche de salut. Si je n’avais pas ça, je serais probablement dans un trou noir en ce moment."
Le titre de l’album prend une autre résonnance depuis la mort de celui qu’elle aime: "Je sais que tu sais. Que je t’aime. Oui, ça devient encore plus individuel alors qu’à la base, c’est un titre collectif." Entonnée avec solennité, la dernière piste de l’album, coiffée du même titre, dit toute la détresse de l’Amérindien dans une adresse directe au Blanc conquérant qui, en l’emprisonnant dans des réserves, en le privant de son territoire, en bafouant son histoire a porté atteinte, grièvement, à ses repères et à son identité. "Il s’agit du plus gros génocide de l’humanité! Les chansons de Philippe sont pleines de la mélancolie du chasseur-cueilleur à qui l’on a interdit de chasser sur son propre territoire. J’ai ça dans le sang, moi; mon ancêtre métis est arrivé ici en 1656. Il avait appris l’algonquin à 17 ans pour devenir interprète…"
La femme de théâtre Brigitte Haentjens signe la mise en scène du spectacle. "Avant, ça avait toujours été Paul Buissonneau… Il a 84 ans et il était un peu malade. Quand je lui ai parlé de Brigitte Haentjens, il m’a encouragée, et celle-ci a tout de suite accepté. Je trouve son travail extraordinaire, elle a une compréhension très… naturelle des choses et va à l’essentiel. Ensuite, j’ai appelé Pierre Hébert, le cinéaste de l’ONF, qui avait fait le clip de Toi, la mordore." Son travail sera projeté sur un écran de circonstance: deux immenses ailes d’aigle taillées dans le bois. Comme d’habitude, des poèmes lus par Chloé entre les chansons – signés par Roméo Saganash, Serge Bouchard et Joséphine Bacon – faciliteront les enchaînements.
L’autre combat de Chloé Sainte-Marie pour l’ouverture de la maison Gilles Carle trouvera aussi son aboutissement d’ici quelques mois. "Nous l’avons inaugurée 10 jours avant le décès de Gilles. C’était notre projet ultime, une victoire; la maison n’existait que par lui et je voulais qu’il vive ça. L’inauguration officielle aura lieu cet été lors d’une grande fête champêtre. Je vais continuer de chapeauter le projet parce que malgré l’aide du gouvernement qui a accepté de nous octroyer 60 000 $ par année sur trois ans comme solution complémentaire à un système engorgé, il demeure déficitaire."
À voir si vous aimez /
Le Peuple invisible (documentaire de Richard Desjardins et Robert Monderie), Elisapie Isaac, Buffy Sainte-Marie