MGMT : Cité psyché
Le duo fantaisiste MGMT s’est laissé prendre au jeu pop avec Oracular Spectacular, rencontrant en chemin un succès inattendu. Deux ans plus tard, il revient à ses premières amours sur le déroutant Congratulations.
Audace ou cachette? Difficile, au premier contact, de déceler l’intention derrière Congratulations. Après les élans pop ouverts, directs, sucrés parfois d’Oracular Spectacular, l’opus qui a propulsé MGMT dans les hautes sphères pop indé, le duo brooklynois a assurément tenu sa promesse de répliquer avec une suite plus touffue, dépourvue d’un petit cousin de Kids. Congratulations vient bel et bien de la même branche de rock cosmique, mais Andrew VanWyngarden et Ben Goldwasser ont enfoui leurs refrains volants sous des amas d’ambiances, de textures, de détours. Si Oracular Spectacular planait en orbite autour de nous, Congratulations paraît provenir d’une autre dimension dans laquelle se croisent passé et futur: la balade en chasseur intergalactique d’It’s Working et les bivouacs pinkfloydiens en forêt de Someone’s Missing et de Siberian Breaks.
Le geste n’est pas nouveau. On n’a qu’à penser à Nirvana, qui avait fait suivre la folie Nevermind par l’austère In Utero: plus cru, supervisé par un héros de jeunesse à la crédibilité intacte (Steve Albini)… Un million et demi d’exemplaires vendus d’Oracular Spectacular plus tard, Congratulations n’est pas si différent: coréalisation de Peter Kember, alias Sonic Boom, de l’influent combo shoegaze Spacemen 3; inclusion du groupe de tournée (le guitariste James Richardson, le bassiste Matt Asti et le batteur Will Berman) dans le processus créatif; afflux de références pointues (Song for Dan Treacy rend hommage au leader des piliers post-punk Television Personalities, et Brian Eno à devinez qui)…
Bref, la déclaration de Congratulations au mainstream ne saurait être plus claire: "Nous ne venons pas d’ici." Alors, audace ou cachette?
Au téléphone depuis Bruxelles, où MGMT doit se produire ce soir-là, Ben Goldwasser a l’air de tout sauf d’un animal traqué. Il se réjouit de la température, du répertoire désormais plus garni du groupe et dit avoir hâte de repasser par Montréal. "J’ai grandi à environ une heure trente de là, alors c’est à Montréal que mes parents viennent me voir jouer", explique le natif de Westport, dans le nord de l’État de New York.
Comme des enfants
Il concède que MGMT s’est sorti du tourbillon sans trop d’égratignures. Le succès de Kids s’est développé lentement sur deux ans, "de façon très naturelle et non grâce à un coup de marketing", et bien qu’une chanson comme Time to Pretend – dont les paroles se moquent des rock stars – puisse sembler cocasse sortant de leur bouche aujourd’hui, elle conserve son sens aux oreilles de ses créateurs. "Nous sommes toujours aussi cyniques sur ce sujet, témoigne le claviériste. Nous n’avions aucune expérience pour appuyer nos observations quand le morceau a été écrit, mais maintenant que nous en avons, ça ne fait que renforcer ce que nous pensions, comme quoi c’est un monde étrange, dont nous ne désirons pas nécessairement faire partie. Oui, c’est bien d’être dans un groupe, d’avoir du succès, mais je ne crois pas que ce sera jamais notre but principal."
Ça, quiconque a vu MGMT en concert a bien pu le sentir, à voir comment le groupe traitait (et traite toujours) son plus gros tube, Kids. Lors de sa visite à la Sala Rossa, en février 2008, il l’a carrément écarté du répertoire. À son retour, à Osheaga, c’est en formule karaoké, sans toucher un seul instrument, qu’il l’a "interprété". "C’est ainsi que nous avons toujours joué cette chanson, précise Goldwasser. On la jouait live cinq ans avant de signer un contrat de disques et d’enregistrer Oracular Spectacular. Dans ce temps-là, c’est ainsi que nous jouions toutes nos chansons! Nous avons essayé de répéter Kids à cinq, mais elle ne fonctionne pas bien dans cette formule. Autrement, c’est vrai que nous avons une étrange relation avec elle. Elle nous rappelle l’époque où nous étions au collège et ne donnions des concerts que pour nos amis. On n’a jamais pensé qu’elle pourrait être un single, ni quoi que ce soit de commercial."
Goldwasser affirme que VanWyngarden et lui ont été pris de court en se rendant compte de ce que la chanson était devenue, et qu’Oracular Spectacular décollait. "On a un peu paniqué. Soudain, les gens nous regardaient comme un vrai groupe pop!" À cette époque, pourtant, le même Goldwasser me disait avoir allègrement emprunté aux Stones, à Cyndi Lauper et au patrimoine disco pour concocter une pièce comme Electric Feel… Des influences pas particulièrement obscures! Il clarifie: "Nous apprécions véritablement la musique pop, mais quand nous avons démarré ce groupe, nous nous voulions davantage un commentaire sur la pop qu’un groupe pop proprement dit. Ce qui nous passionne le plus, ce qui nous a toujours fascinés, c’est la musique plus far-out, plus psychédélique."
La conquête de l’espace
C’est donc ce côté que la paire s’affaire à fouiller sur Congratulations. La voix de Goldwasser s’allume lorsqu’on risque une comparaison avec le travail de ses concitoyens des Fiery Furnaces, qui repose lui aussi sur des structures évolutives, en forme de scènes ou de tableaux. "Ah, ouais! Nous sommes assurément des fans de ce groupe!" s’exclame-t-il. "Nous avons probablement été inspirés par les mêmes idées, les mêmes artistes. Van Dyke Parks, des trucs du genre. Beaucoup du vieux rock psychédélique dont nous raffolons ne repose pas sur des structures couplet-refrain-couplet, mais sur des enchaînements plus créatifs, qui sont liés sans pour autant répéter la même chose."
De toute évidence, MGMT a souhaité rompre avec la facture lustrée d’Oracular Spectacular, oeuvre du réalisateur Dave Fridmann (The Flaming Lips, Mercury Rev, etc.). "Tout comme le premier album, on souhaitait que Congratulations rappelle à la fois le passé et le présent, mais on désirait un côté un peu plus lo-fi", commente Ben. On savait le duo inspiré de Spacemen 3, mais de là à confier la coréalisation à Sonic Boom, dont le travail de réalisateur s’arrêtait jusque-là à ses propres projets (Spectrum, Experimental Audio Research)? Contrecoup d’un jam impromptu sur scène avec le musicien, lors d’un concert de Spectrum, en février 2009. "Après l’avoir rencontré, nous avons commencé à lui envoyer quelques démos, juste pour avoir ses impressions, raconte Ben. Il nous revenait avec des réponses très réfléchies, comme quoi ça lui rappelait beaucoup de musiques qui l’avaient déjà inspiré, qu’il reconnaissait plusieurs points de référence. Il comprenait clairement ce que nous essayions de faire. C’est à ce moment que nous avons décidé de le faire participer à l’album."
Rock détente
Qu’on aime Congratulations ou non, voilà en tout cas un album qui ressemble à tout sauf au second disque d’un artiste bien en vue. Au point où l’on s’étonne que Columbia, filiale de la major Sony, ait accepté de lancer l’objet sans demander de retouches. "Ils ont senti que nous y avions consacré beaucoup d’efforts, rapporte Goldwasser. Ils étaient un peu perplexes quant à ce qu’ils devaient en faire. Ça ne correspond pas à ce à quoi ils s’attendaient et ce n’est peut-être pas ce à quoi une partie de notre public s’attend. Je crois que c’est un album qui fera ses preuves au bout d’un certain temps, plutôt qu’un disque qu’ils vont pouvoir rentabiliser sur-le-champ."
Alors, audace ou cachette? Et si la réponse était plutôt "détente"? MGMT a beau avoir décidé du titre de son nouvel opus bien avant de lever la première pelletée de terre ("en plein milieu de l’enregistrement d’Oracular Spectacular, en fait"), il prend aujourd’hui tout son sens. "En fait, il prend différents sens d’un jour à l’autre, ajoute Ben. Chose certaine, ce n’est pas une réflexion sur notre succès, ni quoi que ce soit du genre. Si nous pouvons nous féliciter de quelque chose, c’est de nous être permis de faire ce que nous voulions vraiment faire, et non ce que nous devions faire." C’est déjà beaucoup.
MGMT
Congratulations
(Columbia / Sony)
En magasin le 13 avril
En écoute au whoismgmt.com
À écouter si vous aimez /
The Flaming Lips, Pink Floyd, Malajube