Vic Vogel : Universel rebelle
Rebelle autoproclamé du jazz, Vic Vogel n’est jamais aussi libre sur scène que lorsqu’il interprète un bon vieux standard.
"Moi, je peux jouer à la complète noirceur, dans un champ, sans amplification. Si tu veux écouter, tu vas entendre", garantit Vic Vogel avec sa dégaine de mafieux et sa gueule de vieux sacripant. "Pour faire de la musique, pas besoin de volume, tu as besoin d’ampleur, d’intensité, d’un sens de l’humour aussi, d’une étincelle dans les yeux et d’être capable de t’émerveiller comme un enfant."
Nul besoin toutefois de courir la campagne profonde pour croiser le pianiste qui, ces jours-ci, monte sur scène en formule trio, flanqué du bassiste Frédéric Grenier et du batteur Richard Irwin, afin de revisiter un répertoire de standards universels. Avaient suffi les premières notes de Summertime pour mettre un sourire aux lèvres des clients d’un bar de Shanghai se rappelle-t-il d’ailleurs. "Je choisis des grands compositeurs américains comme Gershwin et Duke Ellington. On oublie que le jazz était la musique pop de son temps. C’était de la grande musique, pas juste trois accords comme aujourd’hui."
Chérissant un certain classicisme, Vogel se désole que certains apprentis jazzmen puissent négliger un passage obligé. "Le problème aujourd’hui, c’est qu’il y a plein de jeunes qui veulent jouer du free-jazz sans savoir Hello, Dolly!. Leur connaissance du jazz commence avec monsieur Coltrane. Écoute du dixieland, du blues, Parker, avale ton histoire", leur prescrit-il.
MAUVAISES FREQUENTATIONS
Dépeindre Vic Vogel en intégriste serait toutefois tronqué. N’a-t-il pas, après tout, fait de Câline de blues LE grand blues rock québécois, programmatique et influent, en l’ornant d’un arrangement big band sur En fusion? "Gerry était le rebelle du rock’n’roll et moi, j’étais le rebelle du jazz. On était un mariage parfait. C’est grâce à notre union musicale qu’encore aujourd’hui le rock au Québec se fait souvent avec des horns."
Prolixe, Vic Vogel est cette encyclopédie humaine du jazz. Nommez un maître et l’anecdote fuse. Dizzy Gillespie? "Une fois, on a travaillé pour le Canal 10 ensemble. À la fin, le script vient noter les adresses pour envoyer les chèques. Dizzy lui répond: "Je suis jamais chez nous! On a fait notre job, on veut être payés tout de suite, en argent américain." Ça a pris 15 ou 20 minutes. Je ne sais pas pourquoi, mais depuis ce temps-là, on me paie toujours en américain là-bas", lance-t-il en éclatant de son rire rauque.
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