Porcupine Tree : À la rencontre du troisième type
Porcupine Tree nous présente The Incident, une oeuvre intégrale et chronologique. Steven Wilson expose la synthèse d’une représentation multidisciplinaire.
"Avec la mort de Michael Jackson, alors que nous venions d’enregistrer The Incident, la réalité m’a rattrapé!" C’est ainsi que Steven Wilson met en perspective le fruit de sa réflexion et de son travail. Avec son dernier album, Porcupine Tree donne suite à une démarche artistique qui se veut le reflet d’une ère où la démesure s’exprime dans le culte superficiel et rassembleur des médias. C’est une force que le compositeur du célèbre groupe britannique a tenté de décortiquer dans ses travers et son côté pernicieux.
"Au départ, je trouvais indécent que l’on puisse nous informer, par exemple, sur un tremblement de terre qui fait des milliers de victimes comme si ce n’était qu’un simple "incident". Ensuite, le "King de la pop" disparaît, et tu vois cette procession de fidèles endeuillés, et ça dure des mois! Un individu qu’on ridiculisait sur la place publique et qu’on traitait de pédophile… Je n’ai rien contre la musique de Michael Jackson, dans ce domaine je peux comprendre qu’il soit une grande influence pour beaucoup d’artistes, mais ce culte de la personnalité… C’est tout de même incroyable d’en être là!"
Avec The Incident, la formation fait le récit musical d’une ère qui s’expose dans la démesure pour mieux se désincarner. Contrastée, cette production fait la synthèse de différents styles musicaux. Il serait réducteur de qualifier Porcupine Tree de simple formation de musique progressive, le psychédélique faisant place à Nine Inch Nails pour ensuite nous laisser croire que Sigur Rós vient d’apparaître. Les 14 compositions s’enchaînent ainsi sans interruption pour donner vie à une fresque gigantesque.
"Il y a plusieurs groupes qui sont bons dans l’expression d’une seule émotion précise: la tristesse, la haine ou l’amour. Au bout du compte, ça ne reflète en rien la réalité. Je préfère être en face d’un tableau intégral. Je crois que c’est le but de l’exercice d’être le reflet de cette complexité. Il n’y a rien d’étrange dans le contraste, au contraire, ça s’impose. Lorsque je compose, je suis furieux, dépressif ou encore enthousiaste et amoureux. On ne peut pas faire abstraction de soi-même. Tant mieux si ça peut désarçonner certains auditeurs, car il y a de quoi être déboussolé par les temps qui courent."
Steven Wilson parle avec passion et semble s’intéresser à tout. En discutant avec lui, on oublie presque ses talents de musicien et de producteur. Il s’agit tout de même de celui en qui nous avons vu le nouveau Roger Waters et qui a supervisé la remastérisation de l’oeuvre de King Crimson. L’art, pour lui, n’est qu’une représentation, et ce qui l’anime et l’inspire est encore plus significatif à ses yeux. "La musique que j’aime et qui m’a influencé, j’ai dû la chercher et la trouver, expose-t-il. Le mainstream n’a jamais été la source de mes trouvailles. Ça s’applique aussi pour le cinéma. Le problème, c’est que cette société ne se justifie que par cette consommation démesurée. Il y a un monde à l’extérieur qui déborde de possibilités. Ça nous entoure, c’est à portée de main, et pourtant on s’en fout."
Après 10 albums avec Porcupine Tree et quelques projets connexes – dont la parution l’année dernière d’un premier album solo, intitulé Insurgentes -, Steven Wilson semble avoir trouvé l’équilibre idéal pour assouvir sa vision artistique. En compagnie de Lasse Hoile (photographe, peintre, cinéaste et écrivain), qui réalise les différents concepts multimédias du groupe, il forme l’une des rares équipes à avoir réussi une synthèse multidisciplinaire. "Lasse partage vraiment la même vision créative que moi. Je lui fais la narration des sujets qui sont exposés dans les chansons et nous en élaborons ensemble une projection. Très souvent, on se retrouvait à discuter de ce que nous aimons: un film de David Lynch ou encore un roman de Bret Easton Ellis."
Sans faire de compromis, le prodige de la musique constate avec satisfaction que son parcours artistique trouve sens à ses yeux. "J’aime bien le statut actuel de notre groupe. Nous ne sommes pas des vedettes et nous faisons encore partie, du moins je crois, d’un courant artistique underground. On voyage de ville en ville avec une production qui est imposante. Notre spectacle demeure une expérience musicale et visuelle totalement fusionnée. Ces temps-ci, économiquement, ce n’est pas évident. Mais ça me soulage de voir que les gens sont au rendez-vous. Avec les années, je me rends compte que les amateurs de notre groupe se sont multipliés. Et ça, sans qu’on soit présents dans les médias."
À écouter si vous aimez /
King Crimson, Opeth et Pink Floyd