Yoav : L’étranger
De New York à Pretoria, en passant par Copenhague, l’auteur-compositeur sud-africain Yoav fait la découverte d’une muse insoupçonnée: le pluriculturalisme. Sa guitare à l’épaule, il fait face à son passé.
La nuit précédente, Yoav a fait un rêve. Soir de première. Un cocktail enivrant d’appréhension, d’excitation et d’exultation dans les veines alors que la foule impatiente l’acclame. Envahissants, ses battements de coeur viennent combler le silence qui souligne son entrée sur scène. Au moment d’entamer la chanson qui lui permettra de respirer à nouveau, il prend conscience qu’un élément clé de son spectacle pose problème: les pédales. Elles sont toutes là, devant lui, mais elles ne fonctionnent pas. Une première goutte de sueur froide perle sur la tempe du chanteur-guitariste, qui s’entend prier pour qu’un miracle survienne…
Le bohème
Heureusement pour l’auteur-compositeur Yoav Sadan, ce cauchemar ne s’avérera que le leurre d’un subconscient à tendance masochiste créé possiblement dans le but de souligner la parution en sol britannique de son deuxième album, A Foolproof Escape Plan. Alors que je le joins par téléphone en plein coeur d’un Londres bruyant et pluvieux, je pose une première question liée à ce cauchemar: Yoav est-il souvent en proie à ce genre d’angoisses nocturnes? "Pas vraiment, mais il arrive parfois que celles-ci surviennent pour m’avertir de ne rien tenir pour acquis", répond-il après avoir trouvé un endroit plus calme pour parler. "Évidemment, ce genre de situations n’arrive jamais. Disons seulement que je me suis réveillé du mauvais pied ce matin!" lance en riant le guitariste, qui précise n’avoir aucune raison de craindre le pire.
Avec des ventes de plus de 200 000 exemplaires de son premier opus Charmed & Strange paru en 2008 et une armée de supporters via les différents réseaux sociaux tant au Canada qu’un peu partout à travers le monde, le chemin que prendra son nouveau-né ne peut se révéler que pavé de succès. Réalisé par le batteur américain Joey Woronker – reconnu pour son travail auprès de Thom Yorke, Beck et R.E.M. – , A Foolproof Escape Plan mise une fois de plus sur le folk rythmique et minimaliste que le guitariste-chanteur a perfectionné depuis ses débuts en tentant d’extirper toutes les sonorités de sa précieuse six cordes. "J’ai toujours eu l’intention d’aborder l’écriture du deuxième album différemment, quitte à composer au piano, chose que je n’aurais pas osé entreprendre auparavant", affirme-t-il, conscient que le concept de la guitare multifonction pouvait atteindre ses limites créatives. "Je crois que, en tous points, ça a donné un résultat supérieur à Charmed & Strange. Ce dernier est le travail de toute une vie, tandis que A Foolproof… n’est le reflet que de deux événements majeurs: le succès professionnel et un échec amoureux. Oui, peut-être que l’un a causé l’autre, il reste que j’ai entrepris une démarche plus instinctive."
Le gitan
Né en Israël au tournant des années 80, puis élevé en Afrique du Sud, Yoav a rapidement pris conscience du climat social qui régnait autour de lui. "Je suis un enfant de l’Apartheid, un milieu de vie bizarre et injuste. J’étais très jeune. Et, du jour au lendemain, tout a été bouleversé. Avec Nelson Mandela à la présidence, nos cours d’histoire ont été révisés et il y avait dans les rues une sorte d’euphorie insaisissable", se rappelle celui qui, dès lors, portera les stigmates d’une enfance vécue dans l’intolérance et le rejet. Contrairement à son prédécesseur, A Foolproof Escape Plan témoigne davantage d’une réflexion quant à la place que le chanteur occupe en société. "Je me suis toujours perçu comme un étranger, même dans la musique. Après avoir grandi avec l’étiquette du jeune juif blanc pendant toutes ces années, la notion d’être différent ne me dérange plus. Greed, sur le nouvel album, est d’ailleurs la première chanson qui traite explicitement de mes racines", souligne le guitariste, qui ajoute avoir composé certaines des pièces de l’album en s’imposant des sessions d’écriture dans une foule d’endroits reclus, comme le désert des Mojaves en Californie. Chérissant son statut privilégié de "citoyen du monde" et ne voulant en aucun cas prendre racine à un endroit précis, Yoav soutient avec passion que cette connaissance multiculturelle lui permet d’utiliser un langage qui peut plus facilement seoir à quiconque. "En ce moment, l’Europe, l’Inde, l’Amérique du Sud et le Japon m’intéressent énormément. Par ces voyages, je tente de gagner une vision d’ensemble unique propre à ce que je suis. Il suffit pour moi de faire entendre la musique, et le reste se fera de lui-même", laisse-t-il planer en guise de conclusion.
À écouter si vous aimez / Thom Yorke, Jeff Buckley, Nick Drake