Jóhann Jóhannsson : Coeur de robot
Musique

Jóhann Jóhannsson : Coeur de robot

Première visite à Montréal pour Jóhann Jóhannsson, figure rassembleuse et influente de la scène islandaise. Derrière le personnage intrigant, discret et un peu en retrait vibre un compositeur inspiré.

Chaque album de Jóhann Jóhannsson contient une histoire. Qu’on la connaisse ou pas n’altère en rien l’appréciation de sa musique austère, grave et majestueuse. Mais lorsqu’on s’intéresse au récit tapi derrière ces cordes lentement déployées, un nouvel éclairage met les pièces en relief.

Sur Fordlândia (4AD, 2008), par exemple, Jóhannsson s’est inspiré du désir utopique de Henry Ford de fonder un village dans la forêt tropicale brésilienne durant des années 20 pour avoir du caoutchouc à portée de main. L’aventure s’est soldée par un échec lamentable, des dommages nombreux et irréversibles. IBM 1401, A User’s Manual (4AD, 2006) est la chronique de l’avènement du premier ordinateur en Islande, programmé par le père de Jóhann Jóhannsson lui-même.

Les musiques édifiantes de l’Islandais servent couramment de trames sonores à des spectacles de danse contemporaine ou à des films, comme c’est le cas pour And In The Endless Pause There Came The Sound Of Bees, lancé il y a quelques semaines. "C’est la bande originale de Varmints, réalisé par Marc Craste, un film animé où l’on peut voir une petite société de créatures charmantes et inoffensives qui évoluent dans un monde idyllique… Jusqu’à ce que celui-ci soit plongé dans une sorte d’apocalypse. Le film est une parabole écologique, une histoire de rédemption, non dialoguée. La musique est importante dans ce contexte, car d’une certaine façon, c’est à travers elle que l’histoire est racontée."

À l’écoute de ses pièces parfois qualifiées de post-classiques, enregistrées avec des orchestres à cordes d’une cinquantaine de musiciens, on en vient à se demander comment Jóhannsson, également membre d’Apparat Organ Quartet et impliqué dans les projets du label Kitchen Motors, les transpose sur scène. "Nous sommes six: un quatuor à cordes, un percussionniste et moi, au piano, clavier et éléments d’électronique. À la base, ce que j’écris est souvent destiné à des ensembles réduits, donc quand je joue avec mes musiciens, je reviens à la forme originale. J’aime bien ce processus où je suis amené à réinterpréter ma propre musique", confie celui qui dit avoir eu une révélation au début des années 90 en entendant Arvo Pärt pour la première fois.

Figure influente et rassembleuse de la scène islandaise (quoiqu’il vive au Danemark depuis quatre ans), Jóhannsson revient constamment à sa fascination pour les liens – heureux ou tordus – qui unissent l’homme et la machine: "Je m’intéresse aux vieilles technologies, celles qui sont dépassées aujourd’hui et qui n’ont d’intérêt que pour leur valeur historique. L’attachement quasi émotif qui unissait les gens à leurs machines et que l’on tend à perdre aujourd’hui puisqu’elles deviennent si rapidement obsolètes me fascine. À une époque, les ordinateurs occupaient une pièce au complet, ils émettaient beaucoup de bruit, c’était presque des bateaux à vapeur! On en rit aujourd’hui, mais ils furent à l’origine de la révolution que l’on sait."

À voir si vous aimez /
Arvo Pärt, Philip Glass, Godspeed You! Black Emperor