Philémon Bergeron-Langlois : Carte postale de Cuba
Musique

Philémon Bergeron-Langlois : Carte postale de Cuba

Philémon Bergeron-Langlois est parti un mois à Cuba en février 2009. Il est rentré au pays avec sous le bras son premier disque, d’une beauté désarmante: Les Sessions cubaines.

Mettre Les Sessions cubaines de Philémon Chante dans le lecteur sans savoir à quoi s’attendre, c’est recevoir en pleins tympans l’émotion brute d’un chanteur de 27 ans. Déformation professionnelle, le critique décortique illico la proposition artistique: la mélancolie d’un Monsieur Mono; chantée avec la voix d’Antony and the Johnsons; sur une instrumentation cubaine chaude, mais jouée avec toute la délicatesse nécessaire.

Puis la rumeur fait son chemin, rend le compact encore plus attrayant. L’homme derrière le projet, Philémon Bergeron-Langlois, aurait produit le disque sur un coup de tête. Il se serait rendu à La Havane, où il aurait recruté des musiciens sur place et enregistré Les Sessions cubaines en deux jours au mythique studio EGREM (Buena Vista Social Club).

En entrevue, Philémon confirme. "À l’époque, j’avais fui Montréal pour éviter de devenir dingue. J’étais au coeur de grands bouleversements amoureux qui m’amenaient à vivre dans les excès. J’avais beaucoup d’énergie, j’étais capable d’affronter les défis, mais arrive toujours un moment où tu perds les pédales. Je le sentais venir et je devais partir, ne serait-ce que pour dormir et manger à nouveau."

Direction La Havane

Voyageur depuis ses 17 ans – le kid a vu le Nicaragua, Haïti et de nombreux pays d’Europe -, Philémon met ainsi le cap vers Cuba, traînant dans ses bagages une guitare classique à 100 balles achetée quelques années plus tôt en Italie. "Le processus de composition de mon premier album était terminé. Je devais d’ailleurs l’enregistrer dans Charlevoix avec Philippe Brault. Or, avant de partir dans le Sud, j’avais pris en note l’adresse de quelques studios, dont EGREM qui était libre pendant mon passage. J’avais communiqué avec mon cousin Papacho, qui est pianiste au Mexique et a fait ses études à Cuba, pour qu’il me mette en contact avec des musiciens locaux."

Percussionniste de l’émission Belle et Bum, Mélissa Lavergne a aussi contribué à la quête en donnant à Philémon les coordonnées de Rolando Salgado, son professeur de musique à Cuba. "Le type était vraiment étrange, hyperactif. Dans les trois minutes de notre première rencontre, il m’a dit cinq fois qu’il avait joué avec le Buena Vista Social Club. Je trouvais ça louche, mais je n’avais pas de temps à perdre. Je l’ai donc engagé avec quatre de ses amis (le trompettiste Jésus Angel Chappottin, le contrebassiste Armando Fuentes, le joueur de tres Victor Augustín et la chanteuse Yami Hernández, qui sont tous de l’orchestre Conjunto Chappottin). J’ai aussi engagé un violoniste, William Ernesto Roblejo, que j’avais vu jouer en concert là-bas."

Après trois jours de répétitions et l’arrivée du cousin pianiste en renfort, le petit contingent prend EGREM d’assaut pour deux sessions d’enregistrement nocturnes. "Je savais qu’au départ, trouver notre cohésion était pour être dur. Mais c’était horrible, tout le monde tirait la couverture de son côté pour se mettre en valeur. Ils sont comme ça, les Cubains: exubérants, un brin vantards. Je me souviens exactement du moment où on a trouvé notre équilibre: en plein milieu d’une prise, lorsque j’ai craqué sous la pression." Il faut dire que le compositeur avait bossé fort plusieurs jours pour organiser ces séances. Il était son producteur, son comptable, son gérant, son directeur artistique. Tout ça après avoir vécu une vie d’extrêmes pendant plusieurs mois à Montréal. "Assis dans le studio en train de chanter, j’avais l’impression que tout me filait entre les doigts. C’est là que j’ai plié. On l’entend très bien sur J’arrive toujours un peu trop tard, la première chanson du disque (où l’ordre des titres respecte l’ordre d’enregistrement). On m’entend pleurer légèrement en chantant. Comme s’ils avaient compris que quelque chose venait de se passer, tous les musiciens se sont alors mis à suivre l’intensité de ma voix. Ils ont calmé leur jeu pour mieux la supporter."

Comme si vous y étiez

L’écoute des Sessions cubaines nous donne l’impression d’être assis dans la pièce avec Philémon et ses acolytes. Les imperfections sont nombreuses, on sent que certaines pièces pourraient aller plus loin, mais dans ce cas-ci, les erreurs renforcent toute la sincérité de l’album. On a l’impression d’assister à un moment magique, comme si la troupe avait capté la tension pure des magnifiques chansons d’amour de l’artiste. "Je voulais capturer une vie en elle-même. Une vie qui comporte sa part d’imperfections, où rien n’est calculé, sans maquillage ni retouches. C’est de la musique "documentaire" ouverte aux imprévus."

Reste maintenant à rendre les chansons sur scène, un exercice périlleux dans lequel Philémon avance d’essais en erreurs. En demi-finale des dernières Francouvertes, il était entouré d’une violoniste, d’un deuxième guitariste et d’un bassiste. Sans piano ni trompette, l’ambiance cubaine ne passait pas. Il promet de revoir la formule pour le concert-lancement du disque, cette semaine, à la Casa del Popolo.

Philémon Chante
Les Sessions cubaines
(Indépendant)
Disponible au philemonchante.bandcamp.com

À écouter si vous aimez /
Monsieur Mono, Antony and the Johnsons, le Buena Vista Social Club