Plume Latraverse, Bernard Adamus, Renée Martel et Mara Tremblay : 1 fois 4
Un concept à l’image des FrancoFolies, où jeunes et moins jeunes se retrouvent sur une même scène le temps d’une danse estivale. Notre but, s’asseoir avec deux époques ancrées dans des racines communes: le blues joual pour Plume Latraverse et Bernard Adamus, le country et l’amour de la musique transmis de père en fille pour Renée Martel et Mara Tremblay.
Plume rencontre Adamus
"La première fois que j’ai écouté du Plume Latraverse, j’étais en quatrième année primaire", se souvient Bernard Adamus, gagnant des Francouvertes 2010 en mai dernier. "Le Rock’n’roll du grand flanc mou, je trouvais ça drôle. J’écoutais aussi La Bienséance sans trop savoir s’il chantait en français." C’était au milieu des années 80, et grâce à son utilisation du joual, Plume venait de prouver à un kid de neuf ans qu’on pouvait chanter et crier en français sur du blues ou du rock.
Assis en face de Bernard, Plume a beau se défendre, "j’ai pas juste chanté en joual, j’ai déjà opté pour un français international aussi", on se rend compte que les deux arrivent à des résultats semblables. Avec l’instantanéité d’une photo Polaroid, leurs chansons livrées sans inhibition créent un lien de proximité avec les fêtards et autres vagabonds marqués du sceau de la marginalité. Le succès de Bernard n’a peut-être rien en commun avec celui du barbu échevelé, mais dans un Quai des Brumes ben paqueté, l’effet est similaire. À travers les textes amoraux des deux personnages, les fêtards se retrouvent dans les histoires décadentes de leur chum Bernard ou de leur mononc’ Plume. Si le plus vieux a su dissocier Plume, la carapace, de Michel, le timide qui préfère rencontrer son dentiste plutôt qu’un journaliste, le jeune commence à peine à saisir l’importance de la frontière entre la scène et la vie privée.
"En ce moment, je suis un peu sur le high de mes débuts, analyse Adamus. Comme pour beaucoup d’artistes en pleine ascension, cette frontière est encore floue, mais il y a quelque chose qui me gosse déjà: les gens qui croient me connaître parce qu’ils écoutent mon disque (Brun, lancé en indépendant il y a un an et réédité en novembre dernier par Grosse Boîte). Ça devient fatigant. Non, t’es pas mon chum parce que tu connais La Question à 100 piasses par coeur. Et non, on ne partira pas sur la rumba ensemble parce que t’as tendance à me mettre des réponses dans la bouche selon ce que tu décodes de mes pièces."
Attentif, Plume rigole. "Quand tu vas défendre ton stock devant du monde, t’es obligé d’être dans le social. Mais quand tu composes, tu te retires et t’as pas à faire face au monde. J’ai reçu des tonnes de lettres de fans qui me disaient voir des affaires sans bon sens dans mes chansons. J’ai reçu des thèses d’université sur Les Pauvres. Pour un rien, je me retrouvais avec un drapeau aux côtés de Luc Picard ou Dan Bigras, c’est au choix. Quand je restais sur le Plateau, personne ne barrait sa porte. Un matin, je me suis levé pis il y avait du monde que je ne connaissais pas qui buvait de la bière dans ma cuisine. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à dire non, à protéger ma vie privée."
Dire non est un concept que celui qui se produira lors des FrancoFolies pour souligner le 30e anniversaire des Mauvais Compagnons, et les 40 ans de la Sainte-Trinité, n’a eu aucun mal à assimiler.
Non aux maisons de disques, "parce que je me suis fait fourrer avec mon premier contrat en 1970". Non à la cotisation obligatoire pour une nomination à l’ADISQ, "ils ont fini par me donner un Félix hommage, le seul moyen qu’ils avaient de me récompenser". Non aux spectacles de Douze Hommes rapaillés, bien qu’il ait participé au disque sur lequel des poèmes de Gaston Miron sont mis en musique par Gilles Bélanger, "je voulais juste enregistrer une toune pour le trip de vivre un projet unissant les deux hommes". Non aux chansons en duo, "ma voix est trop laide"… La liste est longue.
Jeune loup assoiffé, Bernard est dans sa phase du oui, même si l’invitation soulève des doutes. "Récemment, Radio-Canada m’a payé la grosse affaire: l’avion jusqu’à Winnipeg, l’hôtel 4 étoiles et le gros cachet pour que je participe à une émission de TV où je me suis retrouvé dans une espèce de cube qui flashe. Est-ce que c’est mon buzz? Non. Est-ce que c’était désagréable? Pas vraiment. Est-ce que je vais être fier quand je vais voir le résultat à TV? J’pense pas, mais j’ai pas honte non plus."
"C’était-tu l’émission Pour un soir seulement animée par Michel Rivard?" interroge Plume.
"Ouais."
"J’ai dit non à ça aussi", lance le vieux loup du tac au tac, sourire en coin.
"Mais je comprends pourquoi les jeunes disent oui plus facilement aujourd’hui, poursuit-il. Dans mon temps, l’offre musicale n’était pas la même. Il n’y avait pas 20 nouveaux chanteurs qui émergeaient en même temps. Je suis la carrière de Mara Tremblay parce que c’est la fille de mon chum. Elle s’est produite le soir d’un de ses lancements de disque… Ç’a pas de bon sens. À mon époque, quand on sortait du studio pour enfin lancer l’album, on pensait juste à se mettre ben chaud. Il était aucunement question de monter sur scène."
Pour Bernard, la solution est facile. "On joue, pis on boit après!"
Renée rencontre Mara
Ironiquement, la première rencontre entre Renée Martel et Mara Tremblay s’est produite aux FrancoFolies de Montréal, il y a quatre ans, lors d’un concert Carte blanche à Isabelle Boulay au Théâtre Maisonneuve. Les deux chanteuses partageaient la même loge, minuscule antichambre du spectacle où se vivent trac, angoisses et vocalises. "C’est toujours particulier de partager une loge avec un artiste que tu ne connais pas, explique Mara. Le fait de se rencontrer lors d’un moment aussi intime, au cours duquel on se change, on se maquille et on se prépare à monter sur scène, a facilité le contact plus qu’il n’y a nui."
Ce jour-là, jamais Renée n’a cherché à jouer les grandes soeurs réconfortantes, elle qui, en ce jeudi gris de juin, semble pourtant apprécier Mara comme sa propre fille. "Je suis ben trop paquet de nerfs avant un spectacle pour donner des conseils sur comment éviter le trac. J’aurais l’air ridicule", commente la grande dame de la pop-country québécoise. "Pour être franche, je ne connaissais pas la musique de Mara avant de la rencontrer ce soir-là."
Pour Mara, c’était tout autre chose. Renée Martel était un mythe connu depuis toujours. Tellement qu’il est impossible pour elle de préciser son premier contact avec les Liverpool, Je vais à Londres ou Un amour qui ne veut pas mourir. "Je me souviens seulement que sa musique jouait à la maison, et que mon père la trouvait donc belle."
Le père de Mara Tremblay, un fonctionnaire pour le fédéral, reviendra à répétition dans la conversation, tout comme Marcel Martel, l’illustre père de Renée. Grâce aux paternels, les deux filles sont montées sur scène avant même de devenir femmes. Renée avait 5 ans, Mara, 7. "C’est beaucoup à cause de Plume Latraverse, confie la rousse chanteuse. Je suis déménagée à Montréal assez jeune, et le meilleur ami de mon père était Plume. J’étais en coulisses avec lui, je montais sur scène pendant les tests de son. Il était notre voisin. Il pouvait arriver chez nous le matin et repartir le soir quand j’étais couchée. Mon père avait une maison de campagne avec lui et Stephen Faulkner. Je baignais vraiment dans le milieu."
Un peu comme nous, Renée se tourne vers Mara, incrédule. "Plume se tenait avec un fonctionnaire???"
"Il a aussi été professeur d’art, c’est à ce moment qu’il a rencontré Plume. À ma naissance, sa mère l’a forcé à devenir fonctionnaire sous prétexte qu’il avait besoin d’un job stable pour s’occuper de moi. En parallèle, il a toujours été tenancier de bars ou de tavernes. Au fond, c’était un vieux freak qui faisait le party total", se souvient celle qui se produira aux Francos entourée d’Olivier Langevin, Pierre Fortin, Jocelyn Tellier et Guillaume Chartrain.
Alors, vie normale ou castrante, celle d’enfant artiste? "Pour moi, vivre au coeur du showbiz était normal, répond Renée Martel. Je n’en ai jamais vraiment souffert. Mon père m’a fait danser la claquette sur scène dès 5 ans. C’est à 20 ans que j’ai réalisé que je n’avais rien vécu comme les autres. Je me suis alors questionnée: est-ce que je veux encore vivre ça? J’ai alors pris la décision de tout abandonner pour devenir assistante dentaire. La première fois que j’ai vu un dentiste arracher une dent, j’ai perdu connaissance. Il m’a dit de retourner chanter."
Unies par leur amour du country, par ce même respect pour la tradition qui ne les a jamais empêchées d’insuffler un certain modernisme au genre, les deux chanteuses se retrouveront sur la même scène du Théâtre Maisonneuve lors du concert Carte blanche à Renée Martel (auquel participent aussi Annie Blanchard, Catherine Durand et Mario Pelchat). Leur complicité crève les yeux. On en vient même à se demander si, avec tous ces albums de duos et ces spectacles aux mille invités, les musiciens québécois ne sont pas entrés dans une époque de complaisance extrême, où tout le monde est beau, tout le monde est gentil, et que les brochettes d’artistes ne veulent plus rien dire. Rejet illico de la proposition. "Jamais je n’irai contre quelqu’un qui partage la même passion que moi: la musique, rétorque Mara. Au contraire, les échanges et l’amour entre musiciens nous enrichissent. Il n’y a pas de place pour la jalousie."
Selon Renée, cette ère de complicité est à encourager, par opposition à l’époque où les chanteurs se divisaient en castes. "Dans mon temps, les chansonniers ne se mêlaient pas aux chanteurs populaires. Pendant longtemps, Renée Claude restait en bas de chez moi sans qu’on ne s’adresse la parole. Nous sommes devenues amies par la suite, mais il y avait une rivalité entre artistes. Je crois que le concert 1 x 5 et le duo de Jean-Pierre Ferland et Ginette Reno ont contribué à changer les mentalités. Pendant ces FrancoFolies, je vais chanter avec Mara et même Marc Hervieux (spectacle Marc Hervieux et ses amis). Pour nous, ce sont des défis qui nous sortent de notre confort."
Pendant ce temps, à nous les happenings.