Emir Kusturica et le No Smoking Orchestra : Coup fumant!
Au FEQ, le cinéaste-musicien Emir Kusturica et les joyeux drilles du No Smoking Orchestra entendent bien mettre le feu aux poudres!
"J’insiste pour que vous l’écriviez: je suis sans doute le premier musicien à avoir littéralement appris à jouer de son instrument sur scène", me balance Emir Kusturica, railleur. Guitariste de la formation phare du rock gitan, il exagère tout de même un chouïa, non? "Oh, à peine, renchérit-il. Je connais des musiciens, dont certains membres du No Smoking Orchestra, qui font de la musique depuis leur plus tendre enfance. Je savais à peine faire mes gammes quand je me suis joint au groupe." Sans fausse modestie aucune, l’enfant chéri du cinéma franco-monténégrin ne serait pas du genre à surestimer sa contribution à l’orchestre-culte auquel on doit la trame sonore de quelques-uns de ses films. "Quand je me suis joint au No Smoking, au début des années 90, il était au bord de la disparition, après l’éclatement de la formation initiale, à cause de tensions internes qui elles-mêmes faisaient écho aux chambardements politiques dans notre pays."
Né en Yougoslavie au milieu des années 1980 d’un mouvement de résistance culturelle au maréchal Tito, le No Smoking Orchestra a suivi un parcours profondément marqué par la politique, un parcours semé de controverses et de frictions avec le pouvoir. "En ex-Yougoslavie, on n’avait pas beaucoup apprécié cette boutade de Nele [Karajilic, le chanteur et premier leader du groupe] qui, constatant un problème avec un amplificateur, avait lancé à la blague: je crois que le Marshall est mort!" Ce jeu de mots entre le nom d’une célèbre marque d’amplis et le grade militaire de Tito ("maréchal" en anglais) n’avait effectivement pas eu l’heur de plaire au pouvoir en place. "À l’époque comme encore aujourd’hui, la moindre allusion avait une portée politique", aux dires du réalisateur d’Underground. "Et nous continuons d’exprimer en musique nos préoccupations politiques et existentielles, même si la scène rock ne nous y encourage guère. Aujourd’hui, il faut se présenter sous le jour le plus stupide possible pour attirer un vaste public."
Bien embarrassé à l’idée qu’on l’oblige un jour à choisir entre cinéma et musique, Kusturica n’oserait pas se plaindre du rayonnement du No Smoking, qui récolte les applaudissements aux quatre coins du monde depuis plus d’un quart de siècle. "C’est vrai, on a joué devant des foules enthousiastes partout sur la planète, partout où il y avait du courant ou même de simples génératrices", admet-il, ironique. Avec un pied bien ancré dans le folklore tzigane et les traditions serbes, et l’autre planté dans la modernité post-punk qui l’a vu émerger, le No Smoking Orchestra prolonge la démarche du cinéaste. "Nous nous rattachons aux racines serbes de cette musique, tout en revendiquant l’énergie du rock", m’explique Kusturica. "Au contraire de la télé qui n’est qu’une extension de la société marchande, le cinéma se veut plus contemplatif. Mais c’est un peu grâce à lui que le No Smoking jouit désormais d’une renommée internationale."
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Goran Bregovic, Kayah, Caïna