Matthias Goerne : Les nouveaux classiques
Matthias Goerne fait fi des conventions élitistes qui subordonnent certains interprètes à des dictats absolus. À sa façon, le baryton mène une lutte contre l’oubli.
Ces temps-ci, le baryton allemand Matthias Goerne est enfoui sous les oeuvres de Franz Schubert. Nouvellement signé chez l’étiquette de disque française Harmonia Mundi, l’une des plus prestigieuse dans l’industrie de la musique classique, l’interprète est plongé dans une série d’enregistrements dédiée au compositeur viennois. Une intégrale des lieder, qui réunit autour de lui les pianistes Elizabeth Leonskaja, Helmut Deutsch, Eric Schneider, Ingo Metzmacher et Christophe Eschenbach.
Néanmoins, avec les commémorations qui entourent le 200e anniversaire du compositeur allemand Robert Schumann, Matthias Goerne n’a pu s’empêcher de prendre une pause "schubertienne" pour mettre sa touche personnelle dans les diverses manifestations artistiques qui ont courts à travers le monde. "Cela fait maintenant quelques semaines que je révise ce programme et c’est très agréable, constate-t-il. Ce sont des oeuvres que j’ai chantées souvent, auparavant. Je m’ennuyais. Je dois dire que, psychologiquement, c’est très bénéfique!"
Le chanteur a connu son lot de controverse avec Schumann. Il y a trois ans, Goerne décida d’inscrire au programme d’une tournée le cycle de lieder Frauenliebe und Leben (L’Amour et la vie d’une femme). Jamais auparavant un homme n’avait choisi d’interpréter cette oeuvre majeure du répertoire lyrique de Schumann. Toujours ou presque, une mezzo-soprano était l’élue de prédilection.
"Aujourd’hui encore, je ne comprends pas pourquoi il y a eu tant de réactions négatives, avoue-t-il. Il n’y avait aucune raison. On ne peut faire abstraction du fait que le compositeur est un homme, ainsi que l’auteur (Chamisso). Mais les critiques ont fusé de toute part, et la polémique a suivi. Lorsqu’on aime une oeuvre, on devrait être curieux de la voir sous tous les angles. Je pense que ces personnes n’ont pas réfléchi avant de se braquer. Pourquoi seule une femme pourrait comprendre ce texte et cette musique? C’est absurde! Ce texte dépeint le destin d’une femme, mais c’est la plume d’un homme qui en fait le récit."
Cette expérience a même poussé le baryton à se questionner sur certains territoires européens que l’on décrit souvent comme le coeur de la musique classique en Europe. L’Allemagne et l’Autriche, entres autres, que l’artiste trouve de plus en plus conservatrices. "Je serai en tournée chez vous et j’interpréterai le Liederkreis, Op.24. C’est l’un de mes cycles de lieder préféré. Par contre, c’est rarement interprété en concert. On est loin de la notoriété qui accompagne, par exemple, Winterreise (Voyage d’hiver) de Schubert. En Allemagne, ils diront que l’Op. 24 est une oeuvre mineure… Mais, lorsque je suis en Espagne, les gens semblent curieux et achètent des billets. Pourtant, c’est un répertoire qui n’est pas ancré dans leur culture… Chez nous, les gens sont des spécialistes de deux ou trois oeuvres seulement. Le reste? J’ai le sentiment que ça leur importe peu, et ils oublient."
En plus de Schumann, Matthias Goerne interprétera les Lieder, Op. 32 de Brahms en compagnie du pianiste Andreas Haefliger.
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