NEeMA : Lenny et moi
La poétesse montréalaise NEeMA pourrait faire bien des jaloux: elle compte parmi ses bons potes Leonard Cohen. Petite histoire d’une amitié toute simple.
Son prénom provient de la langue swahilie et signifie "celle qui est née dans la prospérité". On ne pourrait mieux dire. Dans le cas de NEeMA, il n’est nullement question d’argent ni de biens matériels, mais plutôt d’une opulence d’occasions saisies, de méandres intrigants et de rencontres déterminantes qui pourraient, à eux seuls, nourrir des vies entières. Rencontrée dans un café-déjeuner du Centretown ottavien, la chanteuse aux origines égyptiennes et libanaises se révèle une femme affable et généreuse, à la main nerveuse qu’on imagine facilement avoir griffonné, quelques minutes auparavant, des vers sur un morceau de papier épars. Si, pour l’auteure-compositrice trentenaire, son premier album autoproduit Masì Cho revêtait des habits expérimentaux et donnait tout son sens à l’expression à tâtons, il en est tout autrement pour Watching You Think, un second voyage musical qui s’est avéré long, parsemé d’embûches, mais dont le produit final est davantage personnel. "Cet album est plus près de moi, affirme d’emblée NEeMA. J’ai pu atteindre ce que j’avais dans mon coeur, dans mon esprit. Je ne connais pas la musique, mais j’entends les choses. Léonard m’a permis de comprendre que j’ai toujours la réponse, il faut seulement que je veuille la chercher."
L’éloge de l’amitié
Par Léonard, NEeMA entend Leonard Cohen, cet être dont "l’humanisme et la gentillesse" l’ont profondément touchée. Un jour de printemps, il y a cinq ans, la chanteuse croise Leonard dans une rue du Plateau-Mont-Royal. Elle l’arrête, se présente: "Bonjour, je suis Neema." "Bonjour, je suis Leonard", rétorqua le poète à la voix d’outre-tombe. "Mais je savais qui il était!" s’exclame-t-elle en riant. Du coup, leurs intérêts communs pour, initialement, la spiritualité – toute jeune, NEeMA a vécu parmi les moines tibétains -, puis pour la poésie et la musique ont favorisé l’éclosion naturelle de cette union créatrice. "On allait prendre un café, on promenait mon chien dans les rues de Montréal. À certains moments, nos discussions me rappelaient quelque chose que j’avais écrit. Parce que tout part de la poésie, d’après moi. Un jour, j’ai décidé de prendre mon courage à deux mains et de lui montrer quelques lignes que j’avais écrites. Il m’a dit que c’était très bon… " Dès lors, les deux âmes soeurs ont entrepris une collaboration de type mentor-apprentie. "C’était très ardu par moments puisque, comme moi, Léonard est un perfectionniste. Il sait ce qu’il veut et aussi ce dont je suis capable. Il n’était pas rare qu’il me dise que ce sur quoi je travaillais était mauvais. Il fallait que je me remette rapidement de la crainte de décevoir."
Moments de félicité
S’est joint à eux, au cours du processus, le renommé réalisateur québécois Pierre Marchand (Sarah McLachlan, Ron Sexsmith), collaborateur de longue date de Cohen. Ensemble, ils ont commencé à donner forme à ce qui allait devenir Watching You Think, un gravé au style narratif prononcé – dont certaines des histoires racontées sont teintées de la plume magique de Cohen -, aux musiques pleines de tempérance, qui laissent volontairement la place aux mots, tantôt chuchotés à l’oreille, tantôt chantés avec la naïveté de celle qui aime pour la première fois. Si les avis extérieurs de Cohen et Marchand étaient recherchés, souhaités même, NEeMA a dû apprendre à suivre ses instincts. "Il arrivait que Pierre et Leonard ne partageaient pas le même avis. Je me disais: "Mais qu’en est-il de moi? What do I do? What do I think?" Plus les mois passaient et plus Leonard m’incitait à écouter ma petite voix, ce que j’avais au plus profond de moi. C’est dans ces moments si chargés, si intenses que je me suis ouverte sur moi-même", se rappelle la chanteuse. "Leonard a aussi été celui qui m’a dit d’arrêter d’essayer de recréer la magie quand elle a déjà eu lieu, comme ça a été le cas pour la chanson Running. J’ai tellement trimé dur sur cette chanson-là en studio, alors que la maquette que j’avais entre les mains avait saisi une parcelle d’éternité qu’aucun réalisateur n’aurait pu recréer s’il l’avait voulu. Leonard m’a fait comprendre ça. C’est donc la toute première version de Running, que j’avais enregistrée dans mon appartement, qui est sur l’album. On a seulement ajouté les harmonies vocales et une piste de basse."
À l’image de l’album qui a pris tout près de trois ans à être complété, la tournée Watching You Think s’avère elle aussi le fruit d’un travail de moine, d’un souci du détail hors du commun. "Mes musiciens sont excellents, ils n’auraient pas eu besoin que nous pratiquions autant. Mais j’y tenais fortement", mentionne celle qui bénit le ciel d’être née sous une bonne étoile. "Oui, hamdullah! Merci mon Dieu."
À écouter si vous aimez /
Lhasa, Emiliana Torrini, Joni Mitchell