Jake and the Leprechauns : Oiseaux de nuit
Ils chanteront peut-être à minuit, mais les oiseaux finissent toujours par chanter, nous rappelle Jake and the Leprechauns sur son troisième album, At Midnight, the Birdsong. Son effort le plus achevé, bien que marqué au fer rouge par le deuil.
L’appartement sherbrookois de Charles-Antoine Gosselin est un vrai foutoir quand on y entre, en cette fin d’après-midi morne. Un bordel qui n’a rien de la négligence d’un adolescent. Fatigué de se farcir la 10, le chanteur se prépare à déménager dans la métropole, où on a de plus en plus recours à ses services de musicien à tout faire. "Le leader de Jake and the Leprechauns vit dans un vrai nique à feu", blague son acolyte Philippe Custeau. Il retourne ensuite à son cellulaire, sur lequel apparaissent à intervalles rapprochés les questions d’une équipe de promotion s’appliquant à procurer à At Midnight, the Birdsong, leur troisième album, davantage que les succès d’estime que ses prédécesseurs, d’un grand professionnalisme artistique mais distribués à la mitaine et mis en marché sans modus operandi, ont récoltés.
Entre deux eaux, le Gosselin, apparemment, comme plusieurs personnages dont on croise le spectre sur cet album que l’idée du passage traverse de bout en bout. "Il y a eu bien des fins et des départs dans ma vie récemment, raconte posément Custeau, le parolier du duo. Beaucoup de deuils de gens proches, mais aussi des deuils d’idéaux. J’ai pogné l’âge, c’est con à dire, où je sens que je suis un adulte. J’ai tout le temps pensé que les choses allaient arriver et qu’il ne fallait pas s’inquiéter. Il y a des choses que j’attendais et j’ai réalisé qu’elles n’arriveraient tout simplement pas."
Éberlué, Gosselin, le compositeur du duo, son éternel képi vissé sur la tête, se réjouit que la magie, dans tout ce qu’elle a d’intangible, opère toujours. "C’est ça qui est weird entre nous deux. J’écoute ce qu’il dit, on ne s’en était pas vraiment parlé avant et pourtant, le départ, la fin, ça a étrangement été aussi ma vie récemment. J’imagine que j’ai compris inconsciemment que la plupart des textes parlaient de ça."
Avec un parolier d’exception comme Custeau, se tenant aux frontières du storytelling et d’une poésie plus impressionniste, Jake and the Leprechauns réaffirme sur cette troisième galette son parti pris pour les mots. Le titre de l’album, dernier vers de You Looked So Small qui clôt l’album, se veut en quelque sorte une phrase cachée que l’on ne découvre que dans le livret. Justification pragmatique de Gosselin: "Il y a parfois une ligne que je ne sais pas comment faire sonner musicalement." Custeau loue tout de même la capacité de son partenaire à orner de mélodies des textes récusant les formes chansonnières traditionnelles: "Ce n’est jamais arrivé qu’il dise: "C’est impossible de faire une toune avec ça." Antoine est habitué à mon rythme… Je pense que j’en ai un même si c’est informe."
Jake and the Leprechauns
At Midnight, the Birdsong
(LandLocked Records)
À écouter si vous aimez /
Wilco, Neil Young, Calexico