Arrested Development : Les grands succès
Depuis un peu plus de 20 ans, le collectif Arrested Development suscite la réflexion par son hip-hop engagé et altruiste. Pour son leader, Speech, le questionnement ne sera jamais une raison pour ne pas faire la fête.
Rares sont les groupes à être parvenus à définir un genre musical. Nul doute qu’Elvis et les Beatles l’ont fait tour à tour pour le rock’n’roll. Dans le chapitre que l’histoire accordera au hip-hop des années 90, Arrested Development sera probablement l’un des principaux protagonistes. Alors que ce genre musical était intrinsèquement identifié aux gangsters et au crime organisé, cette troupe de philosophes musiciens a émergé de l’underground la tête pleine d’idées et, surtout, avec un esprit conscient de l’impact qu’elle pouvait avoir sur la communauté black de l’époque. Sans crier gare, ce collectif géorgien est venu brouiller les cartes et a tenu à rappeler à un public de plus en plus au fait de la culture des MC et des DJ que le hip-hop avait des choses à dire.
Todd Thomas – connu sous le nom de Speech -, est né à Milwaukee, au Wisconsin, en 1968, l’année même de l’assassinat de Martin Luther King. "Même si j’ai pu grandir dans un climat social dérangeant, ce sont les étés passés dans les campagnes du Tennessee qui m’ont marqué. C’est là que j’ai pu observer les traditions ancestrales afro-américaines et ce qui restait de nos racines d’esclaves", se rappelle le rappeur, joint dans son studio d’Atlanta.
Des années plus tard, Arrested Development, ce collectif formé de neuf musiciens et chanteurs d’origine afro-américaine issus de milieux hétéroclites, prend son envol avec, en tête, cette volonté inouïe de faire entendre sa voix unique. Avec la parution de son gravé inaugural de 1992 au titre évocateur 3 Years, 5 Months & 2 Days in the Life Of… (temps écoulé entre la formation du groupe et le contrat de disques), le constat s’avère on ne peut plus probant: l’Amérique a soif de paix, de spiritualité et d’espoir. Plus de quatre millions d’Américains se procurent l’opus; on octroie à Arrested Development deux Grammy, dont celui du meilleur nouveau groupe. Jamais le collectif ne connaîtra par la suite un succès critique et populaire aussi marquant.
ONE HIT WONDER?
Sur Strong, huitième album d’Arrested Development paru au printemps, le collectif réitère ses voeux sociaux et lance, par la même occasion, un appel aux célébrations. Curieusement, c’est le Japon qui y a répondu en premier. "Les Japonais ont toujours été extrêmement fidèles et c’est la raison pour laquelle Strong a été lancé là-bas, avant le marché nord-américain. Au Japon, on préfère les chansons de fête aux chansons plus engagées", explique Speech en mentionnant que le simple The World is Changing a atteint la neuvième place des palmarès japonais à sa sortie cet hiver.
Si le succès reste tangible auprès des Nippons, il en est tout autrement aux États-Unis, où Strong passe inaperçu. Est-ce qu’Arrested Development a toujours sa place dans une culture populaire qui vit à l’heure de Twitter et de Perez Hilton? Speech en est convaincu, mais il reste prudent. "Dans les années 90, les MC formaient une communauté très forte. Il n’était pas rare de voir des rappeurs engagés comme Public Enemy partager la scène avec 2 Live Crew, qui étaient très sexuels. La nouvelle génération d’artistes hip-hop est plutôt unidimensionnelle: il faut faire le party à tout prix", affirme Speech, en déplorant le fait que certains artistes, dont K’Naan, Braille et Poetic Republic méritent autant, sinon plus, d’attention de la part des médias qu’un Eminem. "Je ne veux rien enlever à ce qui règne sur les palmarès en ce moment, parce que certains de ces artistes sont extrêmement talentueux. À mon avis, tout réside dans l’équilibre. Et, en ce moment, le hip-hop de masse manque cruellement d’idées."
LA RANÇON DE LA GLOIRE
Il importe peu, pour Speech et son collectif, que Strong connaisse un succès commercial. Tout ce qui compte désormais, c’est le succès, le vrai, comme l’explique Speech dans What is Success?, son tout premier livre publié l’an dernier. "En décembre 1996, je me suis converti au christianisme. En tant qu’homme spirituel, j’ai eu la chance de rencontrer tellement de personnes qui soulevaient des questionnements semblables aux miens, que ce soit par la voie du christianisme ou d’autres confessions. Si on possède la voiture de l’année et la grosse maison, c’est ça le succès? Non, pas pour moi!" s’exclame-t-il. "What is Success? est un guide spirituel qui, par l’intermédiaire de passages bibliques, traite de la notion de succès et donne aussi une bonne ligne de conduite."
En vedette ce mois-ci dans une pléiade de festivals folk au pays, Speech affirme saisir le lien qui unit sa musique et le folk. "Le folk EST la musique du peuple. Notre musique reste vulnérable et traite de sujets qui touchent tout le monde. C’est probablement la raison qui explique que nous faisons encore de la musique", conclut-il.
À écouter si vous aimez /
Public Enemy, Common, Loco Locass