Juliette Lewis : La corrida selon Lewis
Au départ, Juliette Lewis nous avait marqués avec une interprétation unique d’Eeny Meeny Miny Moe au cinéma. Depuis, elle s’est révélée comme une auteure-compositrice-interprète aguerrie qui n’a pas froid aux yeux.
Juliette Lewis ne passe pas inaperçue. Que ce soit au cinéma ou sur la scène, cette artiste endosse une carrière hors normes qui en fait l’une des vedettes du grand écran les plus underground de sa génération. Les rôles qu’elle a campés sous la direction des réalisateurs Martin Scorsese (Cape Fear) et Oliver Stone (Natural Born Killers) dans les années 90 ont contribué à lui donner une réputation de bad girl quasi borderline. Vous avez un personnage complexe et ambivalent à l’extrême (comme le personnage d’Adele Corners qu’elle jouait aux côtés de Brad Pitt dans Kalifornia) et vous pensez automatiquement à Lewis. Elle seule semble être en mesure d’incarner le psychisme d’êtres troubles aux limites de la psychose.
Depuis les années 2000, c’est plutôt au sein d’un groupe rock que nous retrouvons cette comédienne qui a toujours nourri des ambitions musicales. Rappelons-nous le film Strange Days, par exemple, dans lequel elle interprétait une pièce de PJ Harvey intitulée Hardly Wait. Après son premier disque, You’re Speaking My Language en 2005, elle enchaîna l’année suivante avec Four on the Floor en compagnie du groupe The Licks. Caprice éphémère d’une vedette d’Hollywood? Pas du tout. Juliette Lewis a emprunté sans hésiter le circuit des tournées, et ce, même au risque de mettre en veilleuse sa carrière cinématographique.
"Je suis une artiste indépendante, alors c’est un combat perpétuel pour moi, précise-t-elle. Je n’ai jamais vu cette carrière musicale comme une expérience qui allait être facile. La route n’était pas toute tracée d’avance. Et de plus, je fais le pont avec le cinéma… J’imagine que je suis parfois perçue comme un accident de parcours dans le milieu musical. Parfois c’est la curiosité qui l’emporte, j’en suis consciente. Je suis connue comme actrice, alors… Mais, je crois que les gens qui, au départ, se pointent au spectacle par curiosité constatent rapidement que je rocke dur! Depuis le temps, j’ai le sentiment d’avoir gagné mes galons!"
LA CROISADE ÉMOTIVE
L’année dernière, elle nous offrait son troisième disque, Terra Incognita. Exit le groupe The Licks, Lewis signe ici une première production solo et s’est entourée de nouveaux musiciens. "Il y a deux ans, j’étais quelque peu désillusionnée et désorientée. J’étais seule avec moi-même et j’avais vraiment l’impression d’être abandonnée. Mais je suis quelqu’un de très optimiste. Il y a toujours de l’espoir. D’écrire ces nouvelles chansons m’a fait le plus grand bien. C’est très diversifié comme répertoire, très intime aussi. Un tel disque n’aurait pu voir le jour avec The Licks. Avec ce groupe, c’était du rock pur et les guitares étaient constamment à l’avant-plan. C’est plus que ça maintenant."
En compagnie d’Omar Rodriguez-Lopez, fondateur du groupe The Mars Volta et producteur de renom, elle signe en effet son meilleur album en carrière. Il y a bien quelques pièces qui descendent en droite ligne de ses précédentes réalisations, notamment la pièce-titre, mais les autres, Romeo, Ghost et Female Persecution (un délire psychédélique), transcendent à coup sûr l’image de bête de scène à la Jagger qui nous obsédait à ses débuts. "Sounds good! s’exprime-t-elle en riant. Avant de monter sur scène, j’ai parfois le sentiment de lancer une tornade d’énergie. À mes débuts, j’en faisais trop… Trois chansons et j’avais l’impression que j’allais m’évanouir! Mais j’ai appris. Avec moi, c’est le yin ou le yang! Tout est une question d’énergie. Je me vois comme une pixie et j’adore la fantaisie. Avec des chansons comme Ghost et Romeo, je te dirais que c’est la haunted woman qui s’exprime."
Et il y a aussi Hard Lovin’ Woman, un titre blues décapant à la PJ Harvey qui met en évidence une voix déchirée et au caractère intimidant. "Hard Lovin’ Woman, c’est une expression que j’ai gardée en tête pendant des années, mais je n’avais pas encore de paroles pour une chanson. En entendant ces trois mots, Chris Watson, mon guitariste, s’est mis à jouer ce blues à la guitare. Le reste de la chanson s’est écrit dans les minutes qui ont suivi. C’est comme si Chris avait trouvé la clé!"
"Omar m’a très bien dirigée pour cette chanson, continue-t-elle. La production d’un disque ressemble en certains points à la réalisation au cinéma. Tu dois connaître tes repères comme interprète. C’était fondamental pour moi, je voulais un producteur qui puisse m’accompagner dans ce type d’expérience. On garde pour soi tellement d’émotions, refoulées quelque part. Avec Omar, j’étais à l’aise pour les explorer."
À écouter si vous aimez /
PJ Harvey, Patti Smith, Die Mannequin