Charles Lloyd : Libéré
Musique

Charles Lloyd : Libéré

Charles Lloyd a renouvelé le free jazz et marqué l’histoire de la musique. Le voici qui se réincarne à nouveau avec un disque qui dialogue autant avec Monk qu’avec les Beach Boys.

Le saxophoniste américain Charles Lloyd semble vivre dans une autre dimension. C’est du moins ce qu’il constate lui-même au moment de décrocher le combiné. "Je m’excuse d’avoir été si long, j’ai l’impression de sortir d’un rêve. En tournée, je suis dans un état second. C’est le silence complet chez moi. J’ai besoin d’isolement, ce n’est qu’en concert que la musique doit se faire entendre. Tout juste avant que tu m’appelles, la pièce Ruby, My Dear de Thelonious Monk meublait mes pensées."

En discutant, le sympathique septuagénaire nous fait le récit d’une carrière vaste, interrompue par quelques désertions périodiques. Des retraites bénéfiques qui ont contribué à renouveler sa carrière à maintes reprises. Maintenant fidèle à l’étiquette de disques ECM, en compagnie des musiciens Jason Moran (piano), Reuben Rogers (basse) et Eric Harland (batterie), Lloyd semble vivre uniquement dans le moment présent. L’inspiration, elle, est toujours aussi féconde; son dernier disque, Mirror, en est la preuve.

"À partir de la fin des années 60, j’ai passé beaucoup de temps dans le silence et la solitude. Je menais une vie tranquille et paisible; seules la lecture et la méditation meublaient mon temps. Tout ça pour changer et devenir une nouvelle personne. J’ai tout de même joué quelques fois dans les années 70, au hasard avec des amis, mais c’est à la fin des années 80, lorsque j’ai joint ECM en sortant le disque Fish Out of Water, que j’ai créé à nouveau. J’aurais encore quitté la musique au début des années 2000 si mon ami Billy Higgins (batteur free jazz décédé en 2001) ne m’avait pas fait promettre de continuer avant de mourir. La musique, elle est essentielle. Elle inspire et console les gens."

L’homme est philosophe et converse autant sur la musique que sur les écritures de la Bhagavad-Gîtâ, un symbole dans la religion hindoue qu’il expose sur la pièce Tagi, qui clôt Mirror. Cette ouverture spirituelle n’est pas étrangère au fait que Lloyd ait vécu le plus clair de son temps en Californie. Dans les années 60, il a été plébiscité par les musiciens de Grateful Dead et The Doors, il s’est retrouvé avec Canned Heat en studio, et il a fréquenté The Beach Boys, qui révolutionnaient alors la pop avec Pet Sounds.

"C’était une époque fantastique, mais elle fut aussi responsable de ma retraite… En ce qui concerne les Beach Boys, ils étaient non seulement des amis, mais des alliés. Ils étaient des fans de ma musique! J’ai joué sur quatre de leurs albums, dont Surf’s Up. Et les gars me prêtaient leur studio d’enregistrement pour faire mes disques. J’ai toujours reconnu en Brian Wilson un génie. Il compose avec des schémas très particuliers. Pour l’album Mirror, j’ai choisi de reprendre la chanson Caroline, No de Pet Sounds, avant tout parce qu’elle est excellente, mais surtout pour rendre hommage à la musique de mes amis." De Ruby, My Dear de Monk, c’est avec Caroline, No en tête que nous laissons Charles Lloyd plonger de nouveau dans le silence et ses pensées.

À écouter si vous aimez /
Ornette Coleman, John Coltrane, Cannonball Adderley