Ron Carter : Parmi les grands
Ron Carter visite Québec pour la première fois en plus de 50 années de carrière. Une légende, rien de moins, qui ne cesse de se renouveler.
Nous avons l’impression que le contrebassiste (et violoncelliste) Ron Carter incarne la force tranquille essentielle à tous les grands créateurs du monde jazz. Sans lui, difficile d’imaginer les parcours du guitariste Wes Montgomery, du multi-instrumentiste Eric Dolphy et de Miles Davis. Les grands noms se bousculent dans la carrière prolifique de ce cerbère, et on peut même affirmer qu’à titre d’interprète et de compositeur, il est devenu un géant du jazz tout comme Wayne Shorter et Herbie Hancock.
L’homme, lui, nous paraît complètement détaché de cette époque presque mythique, celle des années 60 et 70, où tout semblait se réinventer. "On était curieux, affirme-t-il. Une question revenait sans cesse: Que se passerait-il si…? Et voilà, il fallait essayer. Dans le groupe avec Miles, nous étions cinq individus. Chacun était l’égal de l’autre. C’est du moins comme ça qu’on a vécu. Ai-je eu une influence sur la direction artistique d’un album comme Nefertiti, par exemple? Si on constate la dynamique qui existait dans ce groupe à l’époque, je dois répondre oui. C’était la musique d’un quintette et c’est ça que Miles appréciait. En concert, on était fiers de nous et on se disait que demain serait un autre jour. On ferait mieux."
L’artiste est loin de rester ancré dans le passé; son travail en trio avec le guitariste Russell Malone et le pianiste Mulgrew Miller, qui l’accompagnent pour cette première visite à Québec, nous le confirme. "Russell est un de ces interprètes qui se démarquent, tout autant que Wes [Montgomery] et Jim Hall. Il a un son unique et j’apprécie surtout le fait qu’il puisse se réinventer tous les soirs en concert. En trio, sans batterie et sans cuivres, il faut des musiciens audacieux qui ont le courage d’évoluer sans cesse. Ils doivent être perspicaces. Miller entre lui aussi dans cette catégorie."
En cette ère musicale où l’on sollicite les légendes pour de multiples collaborations discographiques, Ron Carter a eu son lot d’offres. Le guitariste Carlos Santana, la mezzo-soprano Jessy Norman (avec Michel Legrand) et même la formation hip-hop A Tribe Called Quest ont tous fait appel à ses services. Des rendez-vous artistiques parfois inusités qu’il sélectionne avec minutie. "Les gens m’appellent et je m’informe, résume-t-il. Mais je reste très intuitif. S’ils sont honnêtes avec la musique, et honnêtes avec moi, il n’y a pas de problème. Carlos Santana était une très belle expérience, et j’ai adoré travailler avec Carlos Jobim. Mais j’ai refusé beaucoup d’offres. Et bien sûr, il y a des musiques que je n’aime tout simplement pas."
Est-ce à dire que même le hip-hop trouve maintenant grâce à ses oreilles? "Le hip-hop comme nouvelle tendance jazz, tu veux dire? Si la scène hip-hop avait pu travailler avec des bons musiciens jazz, il y aurait eu des options intéressantes. Mais tout ça s’expérimente sur la scène. Ensuite, tu sais si tu as un bon groupe ou non. Sinon, c’est un créneau qui ne m’intéresse pas. En fait, je ne m’intéresse pas du tout à ce que veut nous vendre cette industrie. Et je ne cherche pas la polémique non plus!" conclut-il en riant.
À écouter si vous aimez /
Ray Brown, Jimmy Garrison, Milt Hinton