Kent Nagano : Nagano électro
Le maestro Kent Nagano emmène l’OSM à la brasserie Molson pour une aventure musicale audacieuse réalisée avec le festival de musique électronique Mutek.
En créant la série Concerts éclatés, l’Orchestre symphonique de Montréal et son chef Kent Nagano avaient pour objectif de sortir la musique classique de sa zone de confort, de la rendre accessible à un public plus aventureux dans des lieux inusités. La série débute donc avec une rencontre hors du commun, celle entre la musique classique/contemporaine et l’électronique d’artistes associés au festival Mutek, en l’occurrence Thomas Fehlmann et le duo Substance & Vainqueur. Mais le plus intrigant dans tout ça, c’est que la soirée se déroulera dans un lieu totalement inhabituel pour un orchestre symphonique: la brasserie Molson, le célèbre temple de la bière montréalais. Les puristes de la musique classique pourront bien crier au scandale, Kent Nagano n’en a cure. "En fait, l’idée est assez pure parce que nous avons dans la musique classique, comme dans la musique jazz ou de danse, l’idée de festival", justifiait le maestro lors d’une entrevue éclair réalisée dans les locaux de Voir un peu plus tôt cette semaine. "Et qu’est-ce que ça veut dire, festival? C’est d’amener une musique qu’on connaît bien dans un endroit inusité, la sortir de son milieu "naturel" et la transporter hors des normes. Donc, l’événement qu’on présentera à la brasserie Molson va dans ce sens. C’est l’esprit de festival, mais on pousse le concept un peu plus loin."
Ainsi, le 16 octobre prochain, le public de l’OSM et celui de Mutek pourront entendre une interprétation de la pièce Messagesquisse du compositeur de musique contemporaine Pierre Boulez, une oeuvre plutôt aride pour sept violoncelles, et la Symphonie no 1 de Gustav Mahler où 90 musiciens seront sollicités afin d’interpréter cette musique chargée et riche. Déjà, on joue sur les contrastes. Ensuite, ce sera au musicien électronique suisse (basé à Berlin) Thomas Fehlmann de prendre la relève avec une pièce composée spécialement pour la soirée et une autre tirée de son répertoire qu’il a remaniée pour l’occasion. Il sera suivi du duo berlinois Substance & Vainqueur qui présentera son projet électro-dub Scion en clôture. "Ce n’est pas n’importe quel musicien qui peut créer ce genre de fusion entre les univers classique et électronique, ça prend quelqu’un qui a une certaine écoute, une certaine sensibilité, une certaine ouverture", résume Alain Mongeau, directeur du festival Mutek. "Thomas Fehlmann est quelqu’un qui est dans la musique électronique depuis presque 30 ans et qui demeure très pertinent encore aujourd’hui. On a ajouté Substance & Vainqueur qui ensemble ont créé le projet Scion. Eux aussi sont des pionniers de la musique électronique puisque ça fait une bonne vingtaine d’années qu’ils sont actifs dans ce domaine. Ils sont considérés comme les porte-étendards du son techno de Berlin. De toutes les propositions que j’ai présentées à l’OSM, ce sont Fehlmann et Scion qu’ils ont retenus et je trouve que c’est un bon choix."
Vous avez dit classique?
Cette volonté de montrer une image moins stricte de l’OSM vient de son chef d’orchestre, Kent Nagano. La fusion avec Mutek a ensuite été suggérée au maestro qui a vu là un défi audacieux à relever.
"La base de cette idée est venue de deux sources. D’abord mon amour pour l’architecture ancienne montréalaise. Il y a tellement de belles façades et de beaux immeubles, explique le maestro. L’autre source, c’est cette tradition allemande de prendre des musiques classiques connues et de les jouer dans un lieu qui n’est pas normal, à des heures inhabituelles aussi. Le but est de donner une autre âme au lieu. Mon idée était de jouer à la brasserie Molson, mais l’équipe de l’OSM a poussé ce concept encore plus loin en ajoutant l’élément de musique électronique, et c’est bien plus fou que ce que j’aurais imaginé."
Pour Kent Nagano, le lieu où sera donné le concert semble aussi important, sinon plus, que la musique qui y sera jouée. "C’est important pour moi car si on doit se lancer dans cette sorte d’aventure, le lieu doit être tellement spécial qu’il dégage une sorte de charisme. Un espace normal ne suffit pas. Ce doit être un lieu qui stimule la curiosité. Il faut qu’on ait envie d’aller là-bas, de voir ce qui va se passer. Ce qu’on va faire ici à la brasserie Molson qui est selon moi totalement unique. On sait que l’énergie et les capacités de cet immeuble sont formidables, on sait que l’OSM est formidable, et tout ce qui va se produire lors de cette soirée proviendra de cette confrontation entre ce lieu inusité et l’orchestre."
Le beau risque
Comme il s’agit d’une première pour tous les musiciens qui participeront à l’événement, difficile de dire à quoi il faut s’attendre. "Pour moi, c’est un défi musical plus qu’autre chose, estime Thomas Fehlmann. C’est un projet très intéressant au point de vue artistique. Je ne veux pas m’avancer quant aux résultats d’un tel événement, mais avec ce que je suis en train de travailler ici, je souhaite amener une nouvelle fusion entre la musique classique et l’électronica contemporaine. On m’a demandé de créer une pièce intermédiaire, qui sera jouée entre le concert de l’OSM et ma performance. Donc, j’ai créé une musique inspirée de la 1re Symphonie de Mahler en version électronique, à laquelle j’ai ajouté des voix plus classiques. Ensuite, je jouerai une pièce tirée de mon répertoire que j’ai réarrangée pour ce concert en ajoutant des éléments de musique classique. Ces deux pièces seront jouées en compagnie de quelques musiciens de l’OSM. C’est un défi motivant, c’est pour moi l’occasion de réaliser un fantasme, celui de montrer aux gens comment la musique classique pourrait ou devrait sonner."
"Je pense que c’est une rencontre à plusieurs niveaux, précise quant à lui Alain Mongeau. Ce sont des univers qui ont des codes très différents. Par exemple, Fehlmann n’écrit pas et ne lit pas la musique. Or, pour pouvoir faire l’intersection entre le volet classique et le volet électro, il a dû faire appel à un compositeur pour écrire des partitions puisque les musiciens d’orchestre classique n’improvisent pas. Donc, il a fallu passer par une étape tampon qui fait le lien, et je pense que c’est quelque chose qui devra aussi se faire du côté du public."
Pour sa part, Kent Nagano voit là une belle occasion d’aller à la rencontre d’un nouvel auditoire. "Puisque ça n’a jamais été fait, on souhaite attirer notre public habituel mais aussi, vu qu’on sort de nos frontières et que nous allons jouer plus tard que d’habitude, un autre public qui ne viendrait probablement pas à un concert normal de l’OSM à la PdA, où tout est formel et standardisé. On espère attirer des gens qui aiment le côté architectural de Montréal et qui sont aussi des oiseaux de nuit. Des gens qui aiment assister à de nouvelles expériences. Parce que qui sait ce qui va se passer avec ce concert électroacoustique? Ce sera très exploratoire, autant pour les artistes que pour le public!"
À voir si vous aimez /
L’OSM, Mutek, le mélange classique-électronique