Radio Radio : Quand l'habit fait le moine
Musique

Radio Radio : Quand l’habit fait le moine

Poursuivant sa route vers une reconnaissance hors du circuit montréalais, Radio Radio vient faire son tour dans la région.

D’abord considéré comme une simple curiosité de par sa langue distinctive, ce mélange d’anglais et de français que l’on nomme chiac, Radio Radio est revenu transformé sur sa deuxième offrande: Belmundo Regal. La force mélodique et dansante des Cargué dans ma chaise, 9 Piece Luggage Set, Dekshoo et Guess What? a non seulement permis au combo d’être sur la courte liste du prix Polaris, mais aussi de collectionner les nominations sur plusieurs tableaux: 5 au GAMIQ, 5 à l’ADISQ, 2 aux Nova Scotia Music Awards… En fait, Belmundo Regal nous a presque fait oublier que l’on attend le nouveau Loco Locass depuis maintenant deux ans. Même Isabelle Boulay a invité le trio lors de son récent passage à l’émission Studio 12.

Arborant leur nouveau look chic mais décontracté, Gabriel Louis Bernard Malenfant, Jacques Alphonse Doucet et Alexandre Arthur Bilodeau y brillaient par leur attitude cool et nonchalante. Finis les pantalons larges, les baskets, les kangourous et les casquettes. Maintenant, les rappeurs portent le pantalon de toile, les souliers loafers, le veston et la chemise ajustée. Après les avoir rencontrés dans un delicatessen kitsch à la sortie de Cliché hot, notre point de rendez-vous était cette fois le luxueux restaurant Les Filles du roy, une salle à manger victorienne digne de la noblesse du 19e siècle.

"Pour nous, un album, c’est comme une peinture ou une pièce de théâtre, analyse Malenfant. Il nous permet de basculer dans un monde imaginaire. Cette fois, il fallait changer de costume, porter celui de Belmundo Regal."

"Le fait de s’habiller différent a changé bien des choses, avoue Doucet. L’image que tu as de toi-même lorsque tu portes des hoodies et des casquettes est complètement différente de celle que tu as quand tu portes un veston et une belle chemise. Je me tiens plus droit, je me sens plus apte à regarder les gens dans les yeux. Je suis plus galant."

"C’est un avantage de la vie artistique: le mythe que tu te crées devient vite ta réalité, poursuit Malenfant. Utiliser nos noms complets plutôt que nos surnoms m’a amené à revoir ma manière de vivre. Ça me force à ralentir pour m’assurer de bien faire les choses, comme utiliser des accents lorsque j’écris des textos. S’inventer des personnages nous permet aussi de jouer avec les médias. On peut donner deux réponses différentes à la même question. De toute façon, vous aimez ça, les journalistes. Ça vous donne de bonnes histoires fresh et originales à raconter. Mais tu regardes, il y a une continuité entre Cliché hot et Belmundo Regal. Dans les deux cas, il y a l’histoire: l’esthétique crade d’un stand à patates des années 60, puis le luxe de la Nouvelle-France du 18e et 19e siècle."

La parole aux universitaires

Éloquents et capables de causer de sujets autrement plus philosophiques que les fringues ou la chaleur d’un jacuzzi, Bilodeau (bachelier en Media Studies), Malenfant (détenteur d’une maîtrise en Affaires internationales) et Doucet (bachelier en Administration) surprennent par leur discours. Interrogé sur son rapport au passé, Jacques Alphonse Doucet répondra du tac au tac que l’école nous apprend beaucoup de choses en vue de nous mener vers le chemin du travail, mais qu’on passe trop rapidement sur l’art, l’histoire ou la nature, "des trucs importants à maîtriser pour affronter la vie en général".

Pierre angulaire de leur charisme, toute la dichotomie de Radio Radio réside ici. Les voyous de Cliché hot sont maintenant propres et civilisés. Même s’ils vantent les mérites d’être cargué dans un La-Z-Boy, hypnotisé par la télé, les musiciens peuvent se pencher sur les civilisations grecque, égyptienne et maya avec pertinence. "On nous a pris pour des rappeurs insolents avec notre premier disque, et nous voilà beaux gosses, bien habillés, analyse Gabriel Louis Bernard Malenfant. Le bum qui a de la classe, ça pogne toujours. Le mononcle qui arrive au mariage bien habillé et qui desserre sa cravate pour danser en fin de soirée, c’est gagnant. Nos concerts sont construits de la même manière. Au début, on monte sur scène avec nos habits, mais au fil du spectacle, on se déshabille pour finir en bedaine (voire en boxer comme lors d’un récent concert à Tadoussac)."

"Au fond, c’est une dichotomie ville versus nature, renchérit Alexandre Arthur Bilodeau. On a grandi en Acadie, dans le bois, puis on est arrivés à Montréal, dans la grande ville. On a vécu le tourbillon de la scène rap électronique, et là on cherche à se reconnecter avec la nature. Quand ça va mal en ville, on s’imagine tout seuls dans le bois ou sur le bord de la mer."