Jérôme Dupuis-Cloutier : L’instinct du gentleman
Après s’être abreuvé de classiques de la chanson québécoise, Jérôme Dupuis-Cloutier lance Gentleman refroidi, un album fait dans la collectivité, mais transi de solitude.
Gentleman refroidi, le nouveau disque du Sherbrookois Jérôme Dupuis-Cloutier, pouvait difficilement mieux commencer. En ouverture, dès les premières notes de la chanson-titre, on reconnaît le folk intimiste qui nous a toujours plu chez cet auteur-compositeur qui s’est décidé à mettre de côté son pseudonyme, Le Citoyen (surtout connu pour avoir été finaliste lors des Francouvertes 2008). Vient ensuite le refrain avec les claviers qui nous font basculer dans un funk joliment contenu par le spleen de la trompette, instrument de prédilection de l’artiste. Et pour conclure ce brillant triptyque, Jérôme fait état de son sens de la pop avec quelques paroles-vers d’oreille, appuyé par le chant de ses choristes-sirènes. C’est ce qu’on appelle une belle introduction, un éloquent étalage d’un talent mûr.
Pour Dupuis-Cloutier, également membre du groupe Le Roi Poisson, la décision de sortir cet album sous son nom de baptême relève de son intention de bien établir les fondations de sa jeune carrière. "C’était mon choix [et non pas celui de sa nouvelle maison de disques, Indica]. Je voulais diviser comme il faut mes trucs solos et puis Le Roi Poisson. Ce n’était pas juste ambigu pour les journalistes. Le Citoyen, c’était nébuleux pour bien du monde. C’était un bon nom, mais c’est plus vrai maintenant. Je ne vais plus me cacher."
Même si le nom change, l’âme du projet solo demeure. "Les sujets sont les mêmes. C’est introspectif, contemplatif, mais je me rattache à un côté ludique. Gentleman refroidi, ça représente bien le ton de l’album. C’est grave, mais pas lourd. Le personnage est mal pris, il est dépassé par les événements, mais la toune est un peu joyeuse. Il y a la solitude et la fatalité, mais il décide de rester debout", explique Jérôme, qui nous assure ne pas être ce "prisonnier d’un vide immense". "L’album aurait pu s’appeler Les Gentlemen refroidis. Sur Homme d’instinct, il y a ce personnage qui ne veut pas entrer dans la modernité. Ça, c’est un peu moi."
En plus de se révéler en tant que parolier old school capable d’évoquer le grandiose avec une économie de mots, Dupuis-Cloutier fait mouche en adaptant un texte de Denis Vanier, poète rebelle mort d’un cancer en 2000. Le résultat est probant, digne des récentes "mises en chanson" des textes de Gaston Miron. "C’est un gars dans un bar qui m’a parlé de Vanier. J’ai été intrigué puis je suis allé fouiller en librairie. Ça m’a rejoint. Je trouve qu’il écrit vraiment bien. C’est à la fois vulgaire et lisse. Dans un poème, il peut parler de sa maladie, de ses entrailles pourrites, puis quand tu le lis, tu ne vas pas être dégoûté. Il transforme le laid en beau." Pour l’album, Jérôme a opté pour Les Grands Labours, un bel exemple de ce contraste. "Il y parle de sexe qu’il fait avec sa blonde, mais quand tu le lis, ou tu le chantes, c’est beau aux oreilles. "Des anges mouillés sur son ventre", c’est tout de même intense quand tu te fais une image. (rires) Moi, je trouve ça débile!"
Le chaînon manquant
Ne cherchez pas de comparatif dans la nouvelle génération de la chanson québécoise pour Jérôme Dupuis-Cloutier; il en est le chaînon manquant. "Je me vois quand même à part. Juste trouver un autre artiste pour partir en tournée, ce n’est pas évident. Il y a un côté tradition qui est peut-être moins là chez les nouveaux."
Ses influences? Plus de chances de les trouver sur 33 tours. "Les vieilles tounes de Ferland ou de Charlebois, il y a de quoi là-dedans. Il n’y avait pas de complexes. Je trouve que ça paraît dans la musique, les paroles. Les chanteurs n’avaient pas peur de déplaire."
D’ailleurs, ils étaient plusieurs de cette époque à s’afficher souverainistes, ce qui n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Avec Nationaliste déchu, Dupuis-Cloutier s’inscrit à nouveau en marge. "Cette chanson, ce n’est pas pour être engagé, nuance-t-il. C’est un truc personnel, un exutoire. C’est moi, mais je l’ai mise à la troisième personne pour me détacher un peu, pour apprendre à être patient. Si j’y pense trop, ça me gruge, mais je trouvais important de faire une toune là-dessus. Il faut en faire souvent, il faut que ça sorte."
La pièce atteint son paroxysme à la lecture d’un court texte par Yann Godbout (Half Baked). "C’est parti d’une discussion d’un après-midi de temps. Lui, il n’est ni pour ni contre, mais il est d’avis que la terre n’est pas mûre, qu’elle a été trop travaillée, qu’il faut la laisser se reposer. "On oublie souvent la beauté des années de jachère"… C’est comme la partie morale de la chanson."
Fanny Bloom (La Patère rose), Charles-Antoine Gosselin (Jake and the Leprechauns), Ariane Bisson McLernon (Alice and the Intellects) et François-Simon Déziel (Misteur Valaire) font également partie des collaborateurs de l’album Gentleman refroidi, réalisé par le frère de Jérôme, Étienne Dupuis-Cloutier. "Les collaborations se sont faites spontanément. Ç’a tellement été laborieux comme processus; ça n’avançait pas vite. Ça fait un an et demi qu’on est là-dessus. Moi et mon frère, on a eu des vies chambranlantes. Des fois, on ne pouvait pas "taper" à cause du cash. Lui, il a perdu sa job, sa blonde… Quand nos chums, des bons musiciens, écoutaient nos trucs puis apportaient des idées… crime que ça faisait du bien."
L’entourage du gentleman se doit également d’avoir de la classe.
Gentleman refroidi
Jérôme Dupuis-Cloutier
(Indica)
Lancement avec courte prestation
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