Anonymous 4 : Incognito
Musique

Anonymous 4 : Incognito

Anonymous 4 nous dévoile les mystères d’une époque occultée par les guerres et la religion. La musique y était pourtant bien vivante, et cet ensemble vocal en fait une lecture clairvoyante.

Anonymous 4 porte bien son nom. Le répertoire que les quatre interprètes abordent est pour le moins nébuleux et parfois même anonyme. La musique du Moyen Âge possède ses mystères et ses énigmes. Il ne tient donc qu’aux quatre musiciennes qui forment cet ensemble polyphonique de lui donner vie selon leur lecture des faits historiques du 13e siècle (et parfois bien avant), tout en interprétant les ébauches de partitions, pour la plupart dépourvues d’annotations. Marsha Genensky, Ruth Cunningham, Jacqueline Horner-Kwiatek et Susan Hellauer en ont fait une spécialité depuis les années 80, et ce quatuor américain est depuis une référence en la matière.

"Ce n’est pas avant l’année 1300 qu’on commence à avoir une idée précise de la structure rythmique d’une oeuvre, précise Susan Hellauer. Lorsqu’on décide d’interpréter la musique du 12e siècle, par exemple, nous devons imaginer sa dynamique. Cela nous donne beaucoup de latitude. Je retranscris alors l’ensemble des partitions d’origine et nous les chantons telles que nous les souhaitons. Pour tous les interprètes qui se consacrent à la musique médiévale, il est très important de s’avouer qu’il s’agit d’une vision contemporaine d’une musique qui a déjà existé autrement. Nous n’avons aucune idée précise des interprétations qui étaient la norme à cette époque. La vitesse, le volume sonore et les nuances, tout ça nous est inconnu. Nous n’avons que le texte. À partir de là, c’est la liberté."

Avec le programme du concert Secret Voices: The Sisters of Las Huelgas, Anonymous 4 a relevé un nouveau défi. Cette sélection de motets du début du 14e siècle expose une tradition originale qui se pratiquait au monastère royal de Las Huelgas en Espagne. "C’est la crème de la crème et c’est très virtuose, indique Hellauer. Ces soeurs étaient très cultivées, elles venaient de familles riches et nobles, certaines étaient de lignée royale. Elles avaient accès à ce qu’elles voulaient: la musique de Paris, d’Angleterre et même d’Allemagne. Et ne pensez pas qu’il s’agisse uniquement de musique sacrée, car c’était au départ des ballades profanes et des chansons d’amour. Elles n’ont été modifiées par ces soeurs que sur le plan du texte pour qu’elles soient… moralement acceptables. Encore aujourd’hui, on ne sait pas si elles les chantaient elles-mêmes. Du moins, elles n’étaient pas censées le faire."

N’interprétez surtout pas ce choix de codex comme un aveu et un désir d’exposer la condition féminine de cette époque. Susan Hellauer se fait un point d’honneur d’avoir mis de côté toute intention féministe depuis la fondation de cet ensemble. À preuve, Anonymous 4 s’est refusé d’interpréter sur disque le répertoire d’Hildegard von Bingen, la plus connue des femmes compositrices du Moyen Âge. "Au départ, nous ne voulions pas être étiquetées comme un ensemble vocal de femmes interprétant un répertoire écrit par des femmes. C’est automatique dans cette industrie. Nous sommes un ensemble composé de femmes, mais nous nous consacrons avant tout à la musique qu’on aime. C’est notre travail et rien d’autre. On ne fait pas de politique, on laisse ça aux autres."

À écouter si vous aimez /
Dialogos, le Choeur de chambre de Namur, Montserrat Figueras