Angélique Kidjo : Au travail
Musique

Angélique Kidjo : Au travail

Angélique Kidjo nous revient, entière. Toujours aussi vivante, la voici maintenant consacrée à Carnegie Hall, au faîte d’une carrière unique. Mais le travail n’est pas terminé.

"Tu peux faire mieux." Ces paroles résonnent dans la mémoire de la chanteuse Angélique Kidjo. C’est comme si c’était hier, lorsque son père la bravait alors qu’elle devenait une véritable célébrité au Bénin, dans les années 70, avant de poursuivre sa carrière en France quelques années plus tard. Cette jeune dynamo débordait d’assurance au fur et à mesure que les concerts s’additionnaient. De quoi léviter et devenir une véritable star.

Questionnée sur sa personnalité artistique, sa carrière et sa notoriété, l’artiste nous rappelle à l’ordre sans hésiter, sourire en coin. "Il n’a vraiment rien compris, celui-là, dit-elle à propos du journaliste. Très jeune, j’ai vite constaté ce que c’était, la popularité. Tu es adulée dans ton pays et on te fait des courbettes et des compliments… Mais de retour à la maison, tes parents et tes frères te ramènent les pieds sur terre. "Tu peux faire mieux." Ça, c’étaient les paroles de mon père. Il me regardait faire ma grosse tête et il m’a fait comprendre que je devais travailler. On est comme ça dans la famille."

Sur son dernier disque intitulé Õÿö, elle a d’ailleurs rendu hommage à ses parents qui ont su forger son caractère unique. "Ces 10 ou 12 dernières années, ma mère m’a quittée, ensuite mon père. Et Henri Salvador aussi, que j’aimais beaucoup. Lorsque ça arrive, presque tout en même temps, on prend un moment d’arrêt, on pense à tout ça. Lorsque j’ai choisi la pièce Samba Pa Ti de Carlos Santana pour cet album, je voyais ma mère et mon père, ensemble."

"En Afrique, les gens sont très pudiques, nous explique-t-elle avec un filet de voix. Les couples ne se tiennent pas par la main en public, ils s’embrassent encore moins! Mon père et mes frères amenaient toutes sortes de musique à la maison, dont les disques de Carlos Santana. Un jour, en écoutant cette chanson au retour du travail, mon père avait convaincu ma mère de danser avec lui, spontanément et devant nous… Ma mère, elle se demandait pourquoi. Et ils ont dansé. C’était un beau moment de tendresse, très rare. C’est un souvenir impérissable, c’est pour ça que cette pièce se retrouve sur le disque. Je rends hommage à mes parents, et à Carlos Santana aussi, qui est un artiste de conviction." Et Curtis Mayfield s’ajoute à la liste, avec la pièce Move On Up, un autre exemple de la musique qui se faisait entendre dans la maison familiale lorsqu’elle était jeune.

Sur cette dernière production, elle semble même laisser une place toute spéciale aux hommes. Deux hommes en particulier, souligne-t-elle: Bono et John Legend, qui se retrouvent à ses côtés pour chanter sur cette même chanson de Mayfield. "Si on ne met pas les hommes de notre côté, on sera mal prises! Ils diront alors que les femmes n’aiment pas les hommes. Alors que ce n’est pas vrai! Ce sont plutôt les hommes qui constatent que gérer le pouvoir avec des femmes à leurs côtés, ce n’est pas pareil. Bon, ce n’est pas l’endroit ni le moment, alors on discutera de ça une autre fois", dit-elle en riant.

"J’avais constaté que John Legend s’impliquait beaucoup dans le financement d’écoles en Afrique, précise-t-elle. Et ce, sans faire de publicité. Discrètement mais concrètement, il a posé des gestes. Je l’ai appelé pour qu’il me rejoigne en studio, et il a dit oui. Par la suite, il a fallu concilier nos agendas. Avec Bono, ce fut plus compliqué. Lorsqu’on m’a appelée pour me dire qu’il embarquait, j’étais au Yémen et j’ai dû rapidement revenir au studio… Je n’avais pas le choix, on ne dit pas non à Bono! C’est pour ça que j’ai dû retarder la sortie du disque de quelques mois."

Un disque qui lui tenait à coeur à un point tel qu’elle a refusé une offre sur Broadway. Depuis quelque temps, la comédie musicale Fela! y est présentée. Inspirée de la vie du musicien Fela Kuti, cette légende africaine est mise en valeur et sa lutte contre le despotisme nous rappelle les derniers gestes politiques d’Angélique Kidjo, militante indomptable et ambassadrice de l’Unicef. "On m’a proposé le rôle de la mère de Fela. Mais j’ai refusé, j’ai trop de choses à faire. Mais cette comédie musicale est bien faite, elle respecte l’héritage de Fela."

Ce même héritage, elle semble l’incarner tous les jours à sa façon. Angélique Kidjo a fait de l’aide humanitaire et de l’éducation sur le sol africain son credo. "Aujourd’hui, tous les pays riches reviennent sur les promesses qu’ils ont faites à l’Afrique. Tout ça au nom de la crise économique, alors que des efforts soutenus sur ce continent régleraient peut-être en partie cette fameuse crise!"

À écouter si vous aimez /
Salif Keita, Boukman Eksperyans, Zap Mama