Maryse Letarte : La vie au long cours
Musique

Maryse Letarte : La vie au long cours

Maryse Letarte nous propose Ni le feu, ni le vent, un exercice d’écriture intimiste qui ne se veut pas racoleur. Tout s’y expose en musique et devient translucide.

Elle est enceinte jusqu’aux oreilles, mais ne sautez pas trop vite aux conclusions. Lorsque vous écouterez la chanson Petit Homme, dites-vous bien que c’est plutôt une fille (Stella) que Maryse Letarte attend avec impatience. "Je sais que vous n’êtes pas très people au Voir, mais je te le dis quand même. En fait, j’ai écrit ce texte pour ma soeur qui a eu un garçon. Je le lui avais lu en présence de la famille. Tout le monde était bien ému, et c’est ce que je voulais! Je l’ai repris pour en faire une chanson, en enlevant quelques passages, car le poème était beaucoup plus long."

C’est bien à l’image de l’auteure-compositrice-interprète, qui semble toujours prendre en note dans son carnet personnel les beautés et les aléas de la vie. Une forme d’introspection lucide qui, sur une chanson comme Non merci, n’emprunte pas quatre chemins pour résumer l’amour. Des temps d’arrêt qui prennent la forme de miniatures musicales salvatrices. Sur son dernier album intitulé Ni le feu, ni le vent, mixé par Erwin Autrique (Keren Ann et Benjamin Biolay), sa démarche musicale prend des teintes impressionnistes. Aux cordes (violon, violoncelle) s’additionnent la flûte traversière, le flugelhorn ou le hautbois. Avec le piano qui trône au centre, cette instrumentation nous dévoile un souci du détail presque pointilliste.

Quelques thèmes semblent chers à l’auteure, dont cette réalité qui s’impose parfois comme un mirage qu’on ne voudrait pas remettre en question. "Tu dois penser à Icône, j’imagine. Ça remonte à l’adolescence. On se convainc que ce sera génial de voler de ses propres ailes, on veut que ça arrive le plus vite possible, ça motive notre élan. Rendu là, tu te rends bien compte que c’est très différent de ce que tu pouvais imaginer. Moi, ce fut par rapport à la musique. À l’époque, il y avait cet homme qui m’influençait beaucoup. Ce qui m’a inspiré cette chanson, c’est quand je l’ai rencontré pour de vrai, dans sa réalité. Une personne ordinaire, qui vit en retrait, désillusionnée par l’industrie de la musique. Pour moi, c’était tout autre chose comme vie. Mais il faut voir cette chanson comme une forme d’hommage aussi."

Le même exercice s’expose avec J’en sais peu ou prou de la réalité, je peux toujours rêver, je ne te reconnais plus du tout, une chanson qui rivalise pour une place en tête du palmarès des titres les plus longs. "Cette fois-ci, c’est plus personnel, précise-t-elle. Il arrive un moment dans un couple où l’autre avec qui tu partages ta vie se dévoile à toi sous un tout autre jour. Tu te crées une image, une idée sur sa personnalité, et tout d’un coup tu constates que ce n’est plus vrai. Tu restes adulte, il ne s’agit pas d’un psychodrame hystérique. Tu en discutes, mais c’est tout de même un choc. On pense connaître quelqu’un, mais en réalité on extrapole."

Tout ça est chanté avec cette voix atypique et parfois vulnérable qui laisse de côté les artifices. Celle qui se considère avant tout comme une arrangeuse de musique cultive une esthétique bien singulière qu’on aurait du mal à comparer à celle de Coeur de pirate. "On peut faire de la musique romantique sans que ce soit sirupeux, indique-t-elle. Il y en a pour qui des chansons romantiques, où l’émotion est importante, c’est impossible. Ils ne veulent pas toucher à ça. Ils pensent au cliché amour-tendresse, mais ce n’est pas que ça! C’est un art de jouer avec l’émotion. C’est bien le fun des guitares électriques et une voix qui écorchent, mais souvent ce n’est qu’une façade. Tu peux aussi écrire un texte abstrait, où personne ne saura de quoi tu parles; c’est sûr que tu ne te feras pas niaiser. Quand j’écris, je reconnais les limites de ce qui pourrait rendre un texte mièvre. Ces émotions, je les assume."

À écouter si vous aimez /
Keren Ann, Andrea Lindsay, Lykke Li