Renée Fleming : Casser la voix et les clichés
La soprano Renée Fleming s’amuse à confondre les mélomanes avec flegme. Une diva à deux voix qui ne se limite pas à l’opéra.
Elles sont tout de même rares, les cantatrices de la stature des Callas, Tebaldi, Schwarzkopf et Sutherland qui défrichent de nouveaux territoires musicaux pour sortir des loges du Metropolitan Opera et du circuit des récitals européens. Au temps de la Callas (dans les années 50), on pouvait comprendre ce clivage. Dans les années 80 et 90, à part les sopranos Kiri Te Kanawa et Montserrat Caballé – la première a participé à la création de l’oratorio Liverpool de Paul McCartney en 1991, et la seconde s’est retrouvée en duo avec Freddy Mercury et Bruce Dickinson -, les exemples sont presque inexistants. Seules quelques productions discographiques de chansons populaires travesties, où s’époumone une diva comme s’il s’agissait de Norma, ont meublé les bacs des disquaires.
Nous pourrions nous imaginer que les vedettes de l’opéra du 21e siècle ont le jeu facile. Les exemples de métissage sont partout (Sting et la musique ancienne) et il est devenu normal de voir un artiste se métamorphoser l’instant d’un disque. Malgré tout, vous n’êtes pas près d’entendre la soprano russe Anna Netrebko chanter du jazz. Et oubliez l’idée de voir Deborah Voigt interpréter Intervention d’Arcade Fire.
Pour l’instant, une seule a osé sortir du registre lyrique pour se risquer avec sa voix naturelle: la soprano Renée Fleming. À deux reprises depuis le disque jazz Haunted Heart en 2005, cette vedette internationale de l’opéra (qui fut la favorite du couple présidentiel Clinton et qui a chanté à Ground Zero en 2001) nous a offert une production à faire frémir l’élite caractérielle qu’est l’industrie de la musique classique.
Son dernier album, Dark Hope, inclut des chansons de Death Cab for Cutie, Band of Horses, The Mars Volta, Muse et maints autres. Lorsqu’on indique à l’interprète que le disque en question a créé quelques remous dans la presse new-yorkaise (dans le New York Times, entre autres), celle-ci semble quelque peu surprise. "En fait, je croyais que cette initiative aurait provoqué encore plus de controverse! Mais en général, les gens ont été assez ouverts d’esprit, ils ont compris qu’il ne s’agissait pas de la soprano, mais bien de Renée Fleming et d’une autre voix. J’ai été satisfaite du résultat, et la qualité de ces chansons m’a agréablement surprise. C’est une musique qui est intègre en soi, elle n’a pas besoin de moi. Mais je crois aussi qu’on peut aller à l’extérieur d’un chemin tout tracé et le faire avec intégrité. C’est le message que je voulais passer en produisant cet album."
CASTA DIVA ET JAZZ
Renée Fleming a l’appétit vorace. L’art lyrique ne suffit plus et une collaboration (à titre de soprano cette fois-ci) avec le pianiste jazz Brad Mehldau nous a montré à quel point elle est polyvalente. Le répertoire de Love Sublime (Nonesuch) est de facture contemporaine et la poésie de Rainer Maria Rilke y est réinventée. Vous risquez d’être surpris, lors de son récital à Québec avec le pianiste Harmutt Höll, à l’écoute du cycle Songs from The Book of Hours: Love Poems to God, qu’elle juxtaposera à Jane Grey d’Arnold Schoenberg.
"Certaines personnes peuvent trouver cette musique un peu rude, remarque-t-elle à propos de Book of Hours. C’est contemporain, c’est sûr. Imagine, tous les changements rythmiques étaient annotés et décortiqués dans les moindres détails. Brad avait une idée très précise de ce qu’il voulait et je devais m’y conformer. Lorsque j’ai commencé à étudier ses partitions, je l’ai appelé tout de suite pour lui dire que nous devrions travailler ensemble dès maintenant, côte à côte. Seule de mon côté, l’exercice aurait été trop ardu. Nous y avons mis des heures et des heures… mais quelle musique fascinante!"
"Souvent, les compositeurs, du moins je le constate, écrivent une ouvre en pensant à une interprète précise, ajoute-t-elle. Ils imaginent sa technique et son timbre et nous nous retrouvons avec une musique qui nous habille. Ce fut différent avec Brad. J’ai dû m’ajuster à son vocabulaire musical."
Le récital semble offrir à la soprano tout l’espace requis pour exposer son registre, et la deuxième partie sera consacrée à des airs d’opéra italien. "Le récital est une forme d’art très mature. Premièrement, il faut aimer la poésie. La poésie et la musique, c’est parallèle. Mais j’aime surtout bâtir un récital. Lorsque tu t’y attardes, que tu réfléchis et que tu étudies ton programme, c’est un grand défi. Il faut que ça fonctionne. Ensuite, tout le reste n’est que plaisir!"
À écouter si vous aimez /
Karita Mattila, Barbara Hendricks, Renata Tebaldi