Revue 2010 / Bilan musique : L’effervescence de la chanson francophone
Le discours alarmiste quant à l’état de santé de la chanson francophone aura été récurrent en 2010. D’un point de vue strictement commercial, le bilan n’a rien de reluisant. Or, suffit d’ouvrir ses oreilles pour découvrir une scène francophone en pleine ébullition.
Le bal a débuté en juin, à la télé de Radio-Canada, par un reportage tendancieux de la pourtant rigoureuse Catherine Kovacs, un topo mis en lice aux prix Judith-Jasmin, à notre plus grande incompréhension. En se fiant sur les faibles chiffres de vente d’albums francophones, en analysant le succès de Bobby Bazini ou Pascale Picard, et en interviewant quelques cégépiennes dont le rêve est de chanter à Vegas comme Céline, on concluait au piètre état de la chanson francophone. Pas un mot sur tous ces jeunes groupes qui réinventent la chanson d’ici, les Philémon chante, Malajube, Karkwa, Bernard Adamus, et rien sur Coeur de Pirate qui, contrairement à ce qu’affirmait le reportage, demeure la vraie coqueluche québécoise chez nos cousins. Un tour d’horizon fort incomplet.
Puis ce furent les déclarations malhabiles de la programmatrice du Festival d’été de Québec (FEQ), Dominique Goulet, rapportées par Le Devoir en juillet. Si elle avait bien raison de spécifier qu’il était de plus en plus difficile de trouver des artistes francophones capables de remplir les plaines d’Abraham, elle s’est mis un pied dans la bouche en affirmant que "la chanson française ne semble pas être la voie d’avenir". Bien sûr qu’elle s’est mal exprimée. Aucun programmateur musical québécois ne pourrait tenir ce genre de propos. Mettons cette erreur sur le dos d’un manque d’expérience avec les médias. Reste que la graine était plantée pour cette sortie récente, et aussi maladroite, du président de Sphère Musique et GSI Musique, Nicolas Lemieux, incapable de comprendre qu’un festival sérieux programme des gros noms internationaux avant ses vedettes locales. Il est plus facile de demander à Marjo de jouer un jeudi que d’envoyer une telle demande à Bon Jovi (exemple fictif).
Ajoutez ensuite les "observations" de Luc Plamondon, un homme toujours volontaire quand vient le temps de faire la morale, mais moins pour payer ses impôts au Québec. Dans un entretien avec un quotidien en lock-out, le parolier dénonçait la mise en nomination de Radio Radio à l’ADISQ et racontait comment il avait fait enlever les sous-titres anglos de son opéra Starmania à l’Opéra de Montréal. Sait-il seulement qu’en Acadie, le chiac garde le français présent, vivant et ancré dans la modernité? Sait-il également qu’enlever les sous-titres anglos d’un opéra franco ressemble à de l’ostracisme? Chose certaine, Plamondon avait raison sur un point: la chanson francophone doit être diffusée davantage, pas par protectionnisme, mais parce qu’elle le mérite bien.
Si elle en arrache commercialement, c’est créativement que la chanson francophone nous épate. En ce sens, juger de son état de santé en se fiant simplement sur des chiffres de vente apparaît absurde. La richesse des productions doit prévaloir, et il suffit de s’abreuver en marge des radios commerciales pour constater toute la beauté et l’inventivité de nos artistes francophones en 2010. De Jimmy Hunt au Vent du Nord, en passant par Jérôme Minière, Gilles Bélanger, Martin Léon et Alexandre Désilets, la chanson d’ici se réinvente, défonce des barrières de style et s’éloigne du formatage radiophonique.
On prétend que la chanson francophone se meurt, mais si on parlait plutôt des moyens de la rendre plus vivante? Le FEQ doit continuer d’engendrer un max de profits avec ses concerts sur les Plaines pour investir massivement dans les spectacles d’artistes francos plus obscurs. Les radios doivent aspirer à une plus grande diversité musicale parce que visiblement, leur pop guimauve ne vend plus autant qu’avant. Et les mélomanes doivent comprendre que la musique francophone se porte très bien. Suffit de tendre l’oreille.
Flip /
Karkwa
Alors que la chanson francophone "se meurt", le Canada anglais célébrait sa beauté en accordant le prix Polaris à l’album Les chemins de verre de Karkwa. Belle ironie.
Flop /
Le gouvernement Harper
Harper avait la chance de forcer les fournisseurs d’accès Internet à payer des redevances aux artistes. C-32 fait l’inverse et protège les entreprises qui s’enrichissent sur le dos des artistes grâce à leur connexion "tellement rapide que vous pouvez télécharger une chanson à la seconde".