Chromeo : Les Arnacoeurs
Musique

Chromeo : Les Arnacoeurs

Chromeo s’offre un deuxième Métropolis en moins d’un an et célèbre en ce début d’année une ascension lente mais de plus en plus impressionnante. Sortez vos pas de danse les plus fancy: les tombeurs en série sont de retour.

On pensait pouvoir joindre facilement les gars de Chromeo, duo formé à Montréal, en ce début janvier. On s’était imaginé David Macklovitch et Patrick Gemayel bien peinards chez papa et maman, paressant sur le divan à Montréal en regardant la neige fondre à vue d’oeil, farniente bien mérité après un automne surbooké et un hiver qui s’annonce fort occupé, tant en Europe qu’en Amérique. On pensait pouvoir aller boire un latte en leur compagnie à l’Olympico ou dans quelque endroit du genre… Erreur, ils sont en Australie. "On vient de donner trois shows en vingt heures! dit Dave 1. Le 31 décembre sur une petite péninsule à deux heures de Melbourne. Le lendemain (donc le 1er), retour à Melbourne dans un hélicoptère à bord duquel Pat et moi avons bu une bouteille de champagne à huit heures du matin. Là-bas, on a pris un avion direction Sydney pour donner un spectacle, puis on est remontés dans l’avion jusqu’à Melbourne où on a joué une troisième fois en soirée. On est un peu brûlés, mais très contents de pouvoir jouer ainsi partout dans le monde!"

En business

Jolie progression depuis que She’s in Control est apparu dans le paysage en 2004, un premier album qui annonçait déjà l’arme de séduction principale du duo: un sens du hook à tout casser. Les trois premières secondes de Needy Girl sont ravageuses, immédiatement reconnaissables. D’ailleurs, chaque album de Chromeo contient au moins un vrai hit contagieux: Fancy Footwork sur l’album éponyme paru en 2007, et Night by Night sur Business Casual, entré en 70ième position du Billboard 200 lors de son lancement à la fin de l’été 2010.

Il y a trois ans, avant de pouvoir s’offrir deux Métropolis en moins d’un an, Chromeo jouait au National… "À Londres, la ville où l’on vend le plus de billets, notre cheminement est semblable. Quand Fancy Footwork est sorti, on faisait des shows dans des salles de 300 personnes. Ensuite, on a commencé à se produire devant 1000 spectateurs… jusqu’à ce qu’on joue au Roundhouse à guichets fermés devant 3000 têtes. En avril, on y retourne, cette fois dans une salle pouvant contenir jusqu’à 5000 spectateurs. Chromeo n’est pas le genre de groupe propulsé par la radio et la télé; ce n’est pas comme ça que notre musique se diffuse, c’est plutôt par un effet domino des tournées et des vidéos qui circulent beaucoup en ligne. Notre croissance est stable et lente; elle s’inscrit dans la durée, observe le chanteur et guitariste. Avec Business Casual, on a reçu une sorte d’approbation qui dépasse celle du monde de la musique électronique. Par exemple, aux États-Unis, on se produit désormais dans des festivals comme Bonnaroo et Coachella, on fait des télés d’ordinaire réservées à des groupes de rock indé (Letterman l’automne dernier et là on se prépare pour Conan O’Brien)… On a réussi à transcender le réseau de musique électro pure et dure et on est très à l’aise avec notre nouveau profil."

Cordes sensibles

Depuis ses débuts, Chromeo n’a jamais été tout à fait en phase avec la hype. En 2004, lors de la parution de She’s in Control (l’album le plus carré et brut du duo, passé plus ou moins inaperçu sauf aux yeux d’un public plus spécialisé et à l’affût, un album un peu moins ambitieux; Dave 1 et P-Thugg s’y faisaient la main), la vague disco-punk sévissait avec le clan DFA, LCD Soundsystem en tête. En 2007, Justice et les poulains de l’étiquette Ed Banger avaient la cote. "On a toujours été aux antipodes des modes. Regarde ce qui se fait en ce moment: on est dans la chillwave et dans ce que j’appelle la disco italo-insipide pour chauves. Nous autres à côté, on arrive avec une proposition très slick, truffée de solos de guitare, de piano, de cordes et de ballades…"

Dans l’air du temps ou pas, peu importe, Chromeo a survécu à la récupération des années 1980 qui aura culminé dans la première moitié de la dernière décennie; certains groupes se sont évanouis en chemin, d’autres ont tiré leur révérence, offrant leur chant du cygne (LCD Soundsystem avec This Is Happening), alors que Chromeo apparaît de plus en plus en possession de ses moyens. Cette endurance tient à quoi? À l’impact mélodique des tubes, qui transcende le mélange d’électro-funk et de pop référencée extra-gratin qui est devenu avec le temps la signature Chromeo? "Peut-être au fait qu’à la base, avant qu’on en fasse du Chromeo, avec les textures et les claviers de Pat, ce sont des chansons, écrites à la guitare et au piano, qui, arrangées autrement, pourraient jouer à RockDétente. On s’est forgé un parcours à coups d’entêtement, de persévérance et de repli sur nous-mêmes; au final, ça nous a servis. Et puis, il y a de la sincérité dans ce qu’on fait, on est deux meilleurs amis du secondaire qui s’amusent… Ça se sent, les gens y croient."

D’un album à l’autre, sans se réinventer, David et Patrick réussissent néanmoins à raffiner la formule. Les moments les plus percutants de Business Casual ne dépassent peut-être pas ceux de Fancy Footwork (si l’on exclut Night by Night), mais l’album est mieux construit et s’écoute comme un tout. Une chose délicate que d’évoluer à travers un son aussi circonscrit? "C’est exactement ça, t’as mis le doigt dessus, mais je crois qu’on y arrive. La ballade en français, par exemple (J’ai claqué la porte), c’est pas du Chromeo typique, mais il y a une texture qui est la nôtre et une sincérité qui nous appartient là-dedans. La finale quasiment cosmique de You Make It Rough et les morceaux avec des cordes ne sont pas dans la foulée des jalons posés sur Fancy Footwork. On a insufflé une petite touche de sophistication sur Business Casual sans perdre la candeur, l’humour et le côté dansant; c’est cette négociation-là qu’on a essayé de réussir, dit celui qui est aussi, dans une existence parallèle, professeur de français et doctorant en littérature. Pour la suite, on va surenchérir dans le songwriting et la sophistication parce qu’on a eu un déclic avec Don’t Turn the Lights On: c’est la première fois qu’on réussit à provoquer une émotion avec une chanson."

Les liaisons dangereuses

Séduction et drague, problèmes avec des divas exigeantes, désir obnubilant, fascination pour la gent féminine (leurs jambes en particulier, qui servent par ailleurs de support aux synthés), ruptures sensibles, coeur blessé et coups de téléphone éplorés, c’est de ces eaux-là que les textes émergent chez Chromeo. "C’est devenu une sorte de posture et on n’en a pas encore fait le tour. On est à l’aise dans cette zone limitrophe où les gens ne savent plus trop si on est naïfs ou ironiques, et on tient à préserver cette ambiguïté."

Dans la très charmante J’ai claqué la porte – premier titre en français pour Chromeo qui s’exprime parfaitement dans la langue des B.B. (pour citer une de ses références pop)-, le narrateur apparaît néanmoins plus vulnérable et affecté par la situation: "J’ai laissé ma brosse à dents avec la tienne / Celle que j’utilisais les week-ends / Et j’ai pas eu le courage de la retirer / Quand je les ai vues les deux à côté / Je me suis levé, j’ai claqué la porte". "J’ai fait pleurer ma mère avec cette chanson; pourtant, moi, je trouve les paroles un peu rigolotes… Le côté à la fois vulnérable et bad boy, cette fibre sensible, macho et androgyne, tu le retrouves aussi chez Prince… Encore une ambiguïté sur laquelle on aime jouer, Pat et moi. La musique est légère, on ne se prend pas au sérieux et a priori tout ça n’a pas la transcendance d’un album d’Arcade Fire, mais quelqu’un qui décortique un peu les textes réalise que les points de vue sont multiples et les enjeux sentimentaux, nombreux."

Dans l’écriture, il y a aussi la recherche d’expressions justes et imagées qui sonnent bien et passent parfois même dans l’usage: "needy girl", "bonafied lovin", "momma’s boy"… "Ça part toujours de phonèmes que j’aime me mettre en bouche. "J’ai claqué la porte" aussi, c’est amusant à dire et ça reste en tête." Business Casual – titre de l’album – est le code vestimentaire d’un restaurant new-yorkais "un peu chic et quétaine. Pour moi, ça évoque la classe décontracte des années 80, tu sais, le veston avec débardeur en dessous comme dans Miami Vice ou alors le pantalon blanc avec mocassins sans chaussettes parce qu’il fait chaud? Et puis Business Casual souligne aussi le contraste entre mon style et celui de Patrick… Si je résume vite fait: She’s in Control tournait autour de la femme, Fancy Footwork, de la danse, et avec Business Casual, Chromeo s’intéresse à la tenue". On a déjà hâte de connaître la prochaine étape.

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Un flirt avec La Roux et Solange Knowles

Tendez l’oreille puisque vous pouvez maintenant entendre Hot Mess, premier titre de Business Casual, dans une nouvelle version réenregistrée à Londres avec en prime une apparition de La Roux, à la demande du label anglais de Chromeo: "La Roux est une amie et fan de la première heure; elle nous écrivait sur MySpace avant même que sa musique ne soit connue. On a réécrit le morceau et retouché le refrain avec elle… Ça sort ces jours-ci." Le vidéo de l’enregistrement original, style Police Academy funk, vaut d’ailleurs le coup d’oeil.

Dans When the Night Falls, s’élève une voix souple, superbe, celle de Solange Knowles, soeur de Beyoncé et nouvelle coqueluche des bands indie (collaborations avec Chairlift, Of Montreal, Midnight Juggernauts, etc.). "C’est une bonne amie de mon frère (A-Trak, qui connaît beaucoup de succès ces temps-ci avec Duck Sauce). On a pensé à elle et mon frère l’a appelée… Elle est débarquée avec Beyoncé et un garde du corps!"