Suuns : Zéro prétention

C’était en novembre dernier, quelques heures à peine avant l’ouverture du M pour Montréal. Un journaliste d’Amsterdam dépêché par le magasine Oor était de passage au bureau pour discuter du phénomène Arcade Fire: "Est-ce que les médias montréalais les trouvent aussi difficiles d’approche?" Puis, la conversation bifurque. "Et selon vous, M. Engelshoven, d’après la rumeur qui traverse l’Atlantique, quelle est la formation montréalaise à suivre de près?" Sans hésiter, le Hollandais a désigné Suuns (prononcer "soon", en anglais, en ajoutant le "s" à la fin) comme étant à surveiller au M pour Montréal.

A priori, la réponse paraissait étonnante. Après tout, encore peu de Montréalais sont au courant de l’existence du quatuor que plusieurs connaissent encore sous le nom de Zeroes. Ce changement de nom, une métamorphose pas si radicale considérant que Suuns est la traduction de Zeroes en thaïlandais, a été proposé par l’étiquette du combo, l’américaine Secretly Canadian (Antony and the Johnsons, Jens Lekman, Jason Molina). Non seulement le nom avait été utilisé par quelques autres formations, mais il était impensable de catapulter le groupe montréalais au sommet des résultats Google après avoir inscrit Zeroes. Alors que Suuns…

Cette percée, bien que symbolique, se traduit également dans la carrière de Suuns, qui a plus progressé en trois mois, soit depuis la sortie de son premier album, Zeroes QC, que pendant les trois ans d’activité sous l’ancien nom. "Nous n’avons jamais été très carriéristes", explique Ben Shemie, le principal compositeur du groupe dont certains membres ont évolué au sein de Land of Talk, Young Galaxy et Kill The Lights. C’est d’ailleurs le réalisateur du compact, Jace Lasek des Besnard Lakes, qui a d’abord envoyé les compositions de Suuns à Secretly Canadian… en cachette. "On préférait se concentrer sur nos compositions, sur la musique qu’on faisait ensemble. Il y a beaucoup de musiciens qui cherchent à percer trop rapidement. Par exemple, je ne crois pas que signer avec une étiquette à nos débuts aurait été aussi bénéfique pour nous. Notre disque aurait été bien ordinaire. Avant de penser à ta carrière, tu dois t’assurer d’avoir trouvé une identité sonore, une personnalité qui t’est propre. Autrement, même s’il y a un buzz autour de ton groupe, il est extrêmement difficile de s’inscrire dans la longévité. Travailler sur notre son pendant trois ans n’a pas fait avancer notre carrière à court terme, mais maintenant que la machine est enclenchée, ça paye."

Applaudi par la presse internationale en octobre 2010 pour ses performances au festival new-yorkais CMJ, des éloges qui allaient créer l’élan pris lors du M pour Montréal, Suuns offre des concerts énergiques et fidèles à la tension omniprésente sur Zeroes QC. Pensez à la sombre sensualité des Kills noyée dans un environnement électro-rock-blues. "On s’identifie beaucoup à la scène minimaliste. On n’utilise pas d’ordi ou de programmations. Nos pièces sont très simples. Le minimalisme nous permet justement de créer cette tension. Puis, nos influences entrent en ligne de compte: Led Zeppelin, David Bowie, Plastikman. En fait, on prend le son de la scène électro minimaliste des 10 dernières années et on l’interprète à la sauce rock’n’roll."

Fréquemment comparées à celles des Anglais de Clinic, les chansons de Suuns étonnent autant par leurs explorations sonores que par leur force mélodique. Les titres Armed for Peace ou Arena paraissent quasi prévisibles avant de prendre une direction insoupçonnée. "C’est ce qu’on aime: répéter un motif mélodique juste assez longtemps pour capter l’attention de l’auditeur, puis le surprendre en partant dans une autre tangente qui est tout de même cohérente avec l’idée de départ."

Et pour l’appellation "next big thing"? "Disons que c’est flatteur, mais encore pas mal abstrait comme analyse."

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Clinic, The Besnard Lakes, Suicide