Tanya Tagaq : À gorge déployée
Musique

Tanya Tagaq : À gorge déployée

L’artiste multidisciplinaire Tanya Tagaq a toute l’âme du peuple inuit – sa colère et sa poésie – logée dans la gorge. En formule trio, la protégée de Björk donnera un tour de chant… de gorge.

Charnelle et instinctive, la musique de Tanya Tagaq, native du Nunavut, ne laisse pas indifférent; entre halètements et grognements, son chant de gorge porte quelque chose d’encore ensauvagé, de primitif, évoquant le sexe et la souffrance. Son deuxième album, Auk/Blood (2008), éveille la part d’animalité en soi. "Je me demande parfois si je dois intégrer des textes, mettre mes idées en mots… Mais je réalise que c’est probablement le fait qu’il n’y en ait pas qui permet aux gens de prendre position par rapport à ce que je fais. Tant mieux si certains apprécient, car ce que je fais est vraiment étrange!" rigole la très charmante Tanya Tagaq.

Parmi ceux qu’elle a ensorcelés: le Kronos Quartet, Mike Patton (Faith No More, Fantômas, Mr. Bungle), Buck 65 et… Björk. "J’étudiais à Halifax et j’avais le mal du pays… Ma mère a eu l’idée de m’envoyer des enregistrements de chant de gorge. J’ai commencé par chanter sous la douche. Un jour, je participais à un festival relié à mes activités de peintre et je suis montée sur scène, sans prétention et un peu par hasard, pour faire une performance de chant de gorge. Il y avait des touristes islandais dans la salle – par ailleurs amis avec Björk. Ils m’ont filmée et lui ont montré ce que je faisais. Elle m’a contactée et invitée à chanter sur Medúlla… Rapidement je me suis retrouvée en tournée mondiale avec elle, sans carrière ni expérience! C’est comme gagner à la loterie."

À l’image de l’Islandaise, Tanya Tagaq fait les choses à sa manière et revisite la tradition. "Habituellement, deux femmes se font face et se lancent dans des allers-retours très compliqués, plongées dans un fascinant état de symbiose. Elles alternent les émissions de son et c’est difficile à maintenir; le résultat s’apparente à un combat, ça peut même devenir très drôle." Tanya, elle, chante seule, et ne se gêne pas pour métisser son chant avec des rythmiques hip-hop, par exemple. "J’aimerais beaucoup collaborer avec un groupe de heavy metal. Ça me gêne un peu d’approcher les gens… Mais une fois sur scène, je me métamorphose, c’est comme si je devenais quelqu’un d’autre."

En effet, la chanteuse paraît transportée, totalement habitée. "Je connecte avec mon dark side quand je chante. Je pense que la musique parle de nos origines, reflète la culture d’où l’on est issu. Quand tu erres seul sur la banquise, qu’il fait noir jusqu’à 24 heures par jour, ta vie est intense, effrayante. Politiquement aussi c’est ardu, pour la communauté inuit. Quand je pense à ma mère, qui a vécu dans un igloo jusqu’à l’âge de 12 ans et qui est maintenant diplômée de McGill, je me dis que d’encaisser un tel changement demande une impressionnante capacité d’adaptation. Les Inuits ne l’ont jamais eu facile, ça s’entend dans ma musique. Paul McCartney et Pamela Anderson me font bien rire lorsqu’ils prennent position contre la chasse aux phoques. Ils ne savent pas de quoi ils parlent. La vie est dure ici, il faut tuer pour manger. Tout est gelé pendant dix mois, on fait quoi, on mange des glaçons? Toute personne qui mange de la viande devrait avoir à tuer un animal. Le regarder dans les yeux et le tuer. Tu vois, j’ai beaucoup d’opinions… C’est pour ça que je n’écris pas de textes, j’aurais trop de choses à dire!"

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