Marie-Josée Lord : Une voix, un pont

Sorti en novembre dernier sous étiquette Atma, le premier disque de Marie-Josée Lord s’est déjà écoulé à plus de 20 000 exemplaires, un nombre assez impressionnant pour un disque d’airs d’opéra. Il faut dire qu’entre les Puccini, Mascagni et autres Gounod, la soprano a eu la bonne idée d’insérer des Gershwin et aussi un air qui a largement contribué à la révéler au grand public: Le monde est stone de Michel Berger et Luc Plamondon. Une formule gagnante aussi adoptée par la chanteuse en 2008, lorsqu’elle a décidé de monter un récital à son goût, Bouillon, un programme qu’elle défend sur les planches québécoises accompagnée de deux musiciens. Or, cette fois, c’est en formule orchestrale qu’elle le présentera, dans le cadre de Montréal en lumière.

"Je voulais concevoir un programme "grand public", explique la coprésidente du Festival. Le récital "classique" est quelque chose de très spécialisé, qui doit être présenté dans un cadre particulier, un festival de musique de chambre par exemple, mais si on veut attirer des gens qui assistent rarement à un récital d’art lyrique, il faut sortir de ce cadre-là." Marie-Josée Lord parle de son métier avec un plaisir presque palpable. Non seulement elle est consciente et fière de son cheminement, mais elle sait exactement où elle s’en va. "Moi-même, en tant que spectatrice, je suis capable de voir pourquoi un récital classique n’accroche pas le grand public. Et contrairement à certains préjugés du milieu, ce qui est populaire n’est pas forcément mauvais. Mon but n’est certainement pas d’abaisser mes standards de qualité, il n’y a aucun compromis à faire là-dessus. Le public n’est pas débile… Il sait apprécier les belles choses et il le sent bien quand un travail a été fait pour le rejoindre."

Une nouvelle accessibilité

Dans le monde de la musique classique, l’image de la star vivant hors de la portée du "peuple" en a pris pour son rhume ces dernières années, alors que l’on apprenait à connaître le chef Yannick Nézet-Séguin, le pianiste Alain Lefèvre ou le ténor Marc Hervieux. "J’ai l’impression que si j’ai un certain succès auprès du public, c’est bien parce que les gens comprennent que je ne vis pas dans un monde complètement inaccessible, et ça, c’est important, confie celle qu’on a vite connue pour son rôle de Marie-Jeanne dans Starmania. "Au début, quand on disait aux gens qu’on allait faire Starmania en version opéra, les regards étaient vraiment incrédules! Mais pour beaucoup de spectateurs présents, il s’agissait de leur premier passage à l’opéra. Plusieurs sont même ressortis en se disant: "Si c’est ça l’opéra, je vais revenir!" Les vraies grandes mélodies sont celles que l’on peut adapter. On peut les chanter, les siffler, les faire en jazz ou en reggae… C’est le cas de celles de Starmania."

Des grandes mélodies, il y en a aussi beaucoup dans le programme que la soprano et l’Orchestre Métropolitain, dirigé par Alain Trudel, présenteront à Montréal en lumière. Celles de Gershwin, Bizet et Puccini, comme on peut s’y attendre, mais aussi celles de Berger/Plamondon, bien sûr, ou même de Serge Lama: "J’ouvre le concert avec Les gens de mon pays, de Gilles Vigneault. Quand j’ai monté ce programme, je pensais aux gens qui allaient être dans la salle, et je trouvais ça important de les saluer, de saluer à travers eux ma terre d’accueil, tout en ayant une pensée pour les gens du pays d’où je viens."

Se faire dire non

Arrivée au Québec (et à Québec) en provenance d’Haïti à l’âge de cinq ans, Marie-Josée Lord était d’abord pianiste. Ne se croyant pas assez talentueuse pour faire carrière à cet instrument, elle était sur le point d’abandonner la musique pour se tourner vers la psychologie ou la criminologie lorsqu’elle a découvert le chant. Une trouvaille qui, on en convient, profite énormément à la scène classique d’ici en termes de visibilité. "Ça a été la meilleure rencontre que je pouvais faire. Comme si j’avais trouvé la source de toutes les richesses qu’il y a en moi. Ça me stimule à tous les niveaux et ça m’aide à passer facilement par-dessus les côtés moins intéressants du métier." Lui arrive-t-il encore de se faire dire non? "Je suis actuellement dans une bonne période, mais on me le dit encore assez souvent! Mais il n’y a rien de gratuit sur cette Terre, et comme je suis passionnée par ce que je fais, je me donne à fond. La route est semée d’embûches. Toutes les fois où l’on se fait dire non, ça sert à nous fortifier et à bien réfléchir à nos choix."

Ainsi, Marie-Josée Lord bâtit sa carrière comme elle bâtit des ponts entre les publics, entre les répertoires: lentement, mais sûrement. "On entend souvent dire que c’est l’accouchement du premier bébé qui est le plus difficile, et qu’après, ça va tout seul; eh bien, c’est pareil pour les disques! Je planche actuellement sur un nouveau projet, alors que dans ma tête, il y en a sept en attente!" De quoi tenir une mère occupée.

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