David Goudreault : Exigence de compassion
David Goudreault scande la noirceur du monde dans un deuxième album incarné, ÀppronfonDire.
On croyait David Goudreault mû par une incorruptible foi, ce qui explique pourquoi l’on tique quand il confie au sujet de la pièce Mathys, en forme de lettre à son filleul: "C’est un texte d’espoir désillusionné, une façon de lui passer la puck, de lui dire "fais de quoi", parce que je crois plus ou moins à l’avenir de l’humanité présentement."
Pas toi aussi, David? "Ça fait partie de mes paradoxes. À temps plein, j’essaie de convaincre les gens de persévérer", dit-il en pointant la chaise qui accueille aujourd’hui le plumitif, mais qui recueille habituellement les âmes égarées du Cégep de Sherbrooke où le slameur gagne sa croûte comme travailleur social. "Dans mon art aussi, poursuit-il, j’essaie souvent de laisser une note d’espoir. Disons que Mathys, c’est un cri d’espoir déchiré."
L’analyse vaut pour une bonne partie d’ÀpprofonDire, deuxième album du Babe Ruth du slam sherbrookois dans lequel le poète de l’oralité combat la lâcheté collective ordinaire et affronte la part d’ombre qui l’habite. La 55, en hiver permet de mesurer l’exigence de compassion que Goudreault, la misère du monde sur les épaules, s’impose. Rappel des événements: "26 février 2010, je suis sur l’autoroute, je m’en vais à Trois-Rivières pour un souper. Puis, je dois m’arrêter à cause d’un accident qui vient tout juste de se produire. Je suis le troisième char dans la file. D’abord, je fais une petite prière, mais au bout d’une heure et demie, je suis en tabarnac, j’ai faim, je suis en retard, je crois ma colère justifiée. Le lendemain matin, j’apprends qu’il y a une fille qui est morte dans le banc de neige à côté pendant que moi… j’avais faim. Je feelais cheap. Ça m’a amené à vivre une expérience humaine assez intense, en demandant au père de la victime la permission de la nommer sur le disque."
ÉCRIN MUSICAL
Périlleux exercice auquel plusieurs se sont heurtés que d’habiller d’une musique des slams qui avaient leur vie propre sur scène. Avec comme maîtres-mots "cohésion dans l’éclectisme", ÀppronfonDire parvient à éviter les faux pas. Quand ce n’est pas le simple piano de Dominique Rheault qui "confectionne un écrin au poème", pour reprendre la belle formule de Goudreault, Boogat place sa pulsation arabisante sous le texte-titre ou débauche la Rencontre au sonnet grâce à un dub dans lequel débarquent Mathieu Lippé et Queen Ka. France Book de Misteur Valaire, quant à lui, roule dans une farine électro-pop Chant de batailles, avec une Gaële en mode Mylène Farmer au refrain.
L’album inaugure également un nouveau genre, le blues-slam, d’abord sur la douce-amère Similove, un duo avec b.e.t.a.l.o.v.e.r.s, puis sur Noire lumière, petite histoire de l’esclavagisme scandée par-dessus l’incantatoire gospel de Blind Willie Johnson, Dark was the night, cold was the ground (1927). "Il y a quelques semaines, je jouais devant un auditoire noir en majorité. J’ai hésité à la faire, mais je me suis dit "de la marde, je l’essaie". Disons que j’avais plein de nouveaux amis à la fin de la soirée."
David Goudreault
ÀpprofonDire
(Indépendant)
À écouter si vous aimez /
Grand Corps Malade, Mohammed, Manu Militari