Keren Ann : Kill Bill
Cinéma

Keren Ann : Kill Bill

Loin d’être un cours d’introduction à l’oeuvre de Keren Ann, 101 est l’album à la poésie noire d’une femme de tête.

"Si vous voulez parler microphones et compresseurs, on peut jaser des heures durant. C’est mon sujet de conversation préféré", lance Keren Ann au téléphone depuis un hôtel londonien. Passionnée de musique et de tout ce qui touche à son enregistrement, la Néerlandaise possède ses propres studios à Paris, Tel-Aviv et New York, trois villes où a été immortalisé 101, son sixième album et troisième consécutif en anglais.

"101, c’est la somme de mes initiales en valeur hébraïque. C’est un chiffre que je trouve esthétiquement beau et qui me frappe chaque fois qu’il apparaît dans ma vie, que ce soit la route 101 aux États-Unis, 101 Reykjavik ou cet immeuble de 101 étages que j’ai visité à Taïwan (ndlr: le Taipei 101). C’est aussi le numéro à composer en Belgique pour contacter la police et celui pour appeler une ambulance en Israël."

Cet appel de détresse, Keren Ann l’a fait à quelques reprises en 2010, alors au chevet de son père israélien victime d’une maladie dégénérative. En juin, son décès a marqué à sa manière la création de 101. "Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un album de deuil. Oui, le disque lui est dédié, comme objet, mais outre You Were on Fire, aucune chanson ne lui est adressée. Lorsque je réécoute 101, je ne sens pas sa maladie plus que ce désir d’être forte à travers l’épreuve. Je travaillais sur l’album entre deux examens médicaux. Je devais trouver la force de l’accompagner et ensuite m’évader en studio, poursuivre mon travail avec concentration et détachement."

La musicienne découverte il y a 10 ans pour son travail de composition sur l’album Chambre avec vue d’Henri Salvador s’est ainsi réfugiée dans l’imagerie noire de la femme gangster. Après la très personnelle You Were on Fire, une pièce feutrée et orchestrale rappelant celles d’Air, Keren Ann enchaîne avec l’ambiance cabaret de Blood on My Hand, histoire d’une tueuse à gages dont le whisky est dilué par le sang de sa victime. Coiffée d’une perruque à la Joanna Lumley dans The Avengers, Ann pose revolver à la main sur la pochette du compact. "Je cherchais cette image de la femme iconique, ce côté gangster pour souligner l’ambiance film noir de l’album. Je voulais plonger immédiatement l’auditeur dans ce contexte car pour moi, la musique est une mise en scène. Le son m’apporte beaucoup plus d’images que le cinéma. Avec la musique, on crée des scènes en utilisant des textures sonores, des orchestrations, des mélodies, des mots. C’est du cinéma auditif."

Orchestral et plus loin du registre folk auquel Keren Ann nous avait habitués, 101 n’est pas sans rappeler les textures luxuriantes du dernier album de Lady & Bird, ce tandem qu’elle forme avec l’Islandais Barði Jóhannsson. La paire vient d’ailleurs de terminer l’écriture d’un opéra et, sitôt, la chanteuse se lance dans une nouvelle collaboration avec Questlove des Roots, "un spectacle hommage au Paris des années 20, présenté à Philadelphie en avril. C’est dans ce côté workaholic que je puise mes énergies. Quand on choisit de faire un travail artistique, c’est qu’on aime l’esthétique et créer de belles choses. Mon but dans la vie est de produire quelque chose de beau tous les jours. J’ai souvent des doutes quant à la qualité de ma création, je cherche toujours à me perfectionner, mais lorsque je suis satisfaite, ça me remplit".

Keren Ann
101
(EMI)

À écouter si vous aimez /
Air, Françoise Hardy, Cat Power