Jeff Tweedy : Wilco dénudé
Musique

Jeff Tweedy : Wilco dénudé

Chanteur et principal compositeur de Wilco, Jeff Tweedy s’amène en ville pour un rare concert solo acoustique dans la plus pure tradition des folk singers.

Des amplis à tubes éparpillés sur d’immenses tapis persans, une collection de guitares à faire baver les endettés du magasin Italmélodie, des kilomètres de fils, des bibliothèques remplies de disques et de livres, des consoles de son oubliées un peu partout… Bienvenue dans l’antre de la création de Wilco, un local simplement baptisé The Loft, où le groupe prodige de Chicago concocte chacun de ses enivrants albums folk rock. Dans ce lieu hautement documenté, objet de fascination pour les nombreux fans du combo, le charismatique chanteur Jeff Tweedy interrompt une session d’enregistrement du prochain disque pour s’acquitter de son devoir de musicien.

Figure de proue de la formation, Tweedy déteste répondre aux questions des journalistes. Lorsqu’on l’attrape au mauvais moment, on se retrouve devant un mur dont il serait plus facile d’extraire de l’huile que de bonnes citations. Pas cette fois, ou si peu. "Je manque encore de recul pour bien le décrire, mais on travaille sur un autre album de "weirdo-rock-pop"." Prévue pour l’automne prochain, la galette marquerait-elle un retour aux formes plus expérimentales des Yankee Hotel Foxtrot (2002) et A Ghost Is Born (2004), après les plus directs et accessibles Sky Blue Sky (2007) et Wilco (2009)? "Je ne sais pas. Je n’aime pas que le mot "expérimental" soit utilisé pour décrire notre musique, peu importe l’album. Et je ne crois pas que nos derniers disques soient moins "expérimentaux" que Yankee ou Ghost Is Born. D’ailleurs, tout ce que les gens qualifient d’expérimental en musique rock depuis les 15 dernières années ne me le semble pas du tout."

Décibels par minute

Inspiré par la poésie du 17e siècle, "j’écris actuellement les paroles des chansons en extirpant des verbes de vieux poèmes pour les transposer dans de nouveaux contextes", le disque sera le premier à paraître sous la nouvelle étiquette de disques fondée par Wilco. Plutôt que de renouveler son entente avec Nonesuch, qui l’avait accueilli à bras ouverts lorsque Reprise l’avait abandonné, jugeant à tort Yankee Hotel Foxtrot trop élitiste, le groupe a fondé dBpm Records. "On évolue dans le milieu musical depuis tellement longtemps, et plus les années passent, plus on prend le contrôle de nos activités. Ce n’était plus logique de donner une bonne part du gâteau à un label qui, au fond, ne travaille pas autant que nous pour faire avancer la carrière de Wilco. Selon les contrats traditionnels, un groupe donne 70 % de ses revenus de vente d’albums à sa maison de disques. Même que 70 %, c’est considéré comme un pourcentage avantageux pour l’artiste. Avec les changements que vit l’industrie, les grosses étiquettes ne peuvent plus en faire autant qu’avant. Elles ont perdu du terrain au profit des efforts déployés individuellement par les groupes pour rejoindre leur public directement. Les gens achètent plus d’albums numériques, et les musiciens peuvent facilement gérer ce mode de distribution. Je comprends qu’un jeune groupe cherche à profiter de l’expertise des majors, mais pour Wilco, cette aide n’est plus nécessaire."

Vrai que la bande est devenue experte quant à l’utilisation d’Internet. Son site Web regorge de photos. On peut y visiter le Loft virtuellement et même écouter des concerts intégralement sans débourser un sou. Aussi gratuite, une application iPhone permet d’écouter chaque chanson des 10 albums commercialisés par Wilco. Pour Tweedy, le Web est synonyme de démocratisation. "On parle beaucoup de lois qui forceraient les fournisseurs d’accès à Internet à payer des redevances aux artistes pour compenser la perte de revenus engendrée par le téléchargement illégal. Je suis plutôt contre. Je ne connais pas la solution parfaite, mais il m’apparaît clair que si on les force à payer des droits d’auteur, ils refileront la facture à leurs clients qui paieront plus cher pour leur connection. Pour moi, Internet doit être un service universel dont tout le monde devrait bénéficier. Je suis pour un Internet libre, gratuit, et je ne veux pas que les fournisseurs se mettent à analyser nos activités sur la bande passante sous prétexte "d’aider les créateurs". Dans des pays où le soulèvement était jadis impensable, la population a su organiser des révolutions historiques grâce au Web. C’est une question de démocratie: Internet ne doit pas être régi et contrôlé par les fournisseurs."

Avant la métamorphose

Bien qu’en plein processus de création, Jeff Tweedy a déserté le Loft la semaine dernière pour se lancer dans une courte tournée solo acoustique comme celle immortalisée sur l’excellent DVD Sunken Treasure en 2006. Le but: s’aérer l’esprit. "Quelques musiciens du groupe devaient se rendre au festival SXSW (le bassiste John Stirratt et le multi-instrumentiste Pat Sansone sont aussi membres d’Autumn Defense), alors on a décidé de faire une pause. Selon mon expérience, ce n’est jamais bon de rester enfermé en studio pendant plusieurs semaines. J’aime me faire rappeler ce que ça prend pour composer une bonne chanson, sentir le public, le conquérir. J’ai aussi besoin de faire de l’argent. J’ai une famille à nourrir."

Contre le pain et le beurre, les fans de Wilco pourront entendre quelques compositions du répertoire personnel de Tweedy et des chansons de Wilco en version dénudée. Lors de concerts semblables donnés en décembre dernier, le folk singer se lançait dans une version acoustique de l’hypnotique Spiders (Kidsmoke) qui, sans toutes ses couches de guitares tourbillonnantes, flirtait avec une toute nouvelle palette d’émotions, devenant plus intime et poignante. "Au fond, ces spectacles solos permettent aux spectateurs de découvrir la genèse des pièces de Wilco. Lorsque j’amène une chanson comme Spiders aux autres membres du groupe, je la joue en version acoustique, puis on la transforme abondamment. Presque toutes nos pièces sont d’abord écrites à la guitare acoustique, c’est pourquoi il est facile pour moi de piger dans le répertoire du groupe sans les gars."

Risque-t-on d’entendre quelques titres du prochain album? "Peut-être, mais je suis devenu parano avec le temps. Aujourd’hui, dès que tu essaies une nouvelle chanson en concert, il y a quelqu’un pour la filmer avec son téléphone portable et la mettre instantanément en ligne sur YouTube dans une qualité sonore exécrable. Il se peut que j’en joue une ou deux, mais sans plus. Je cherche toujours à garder les chansons secrètes le plus longtemps possible avant la parution d’un album."

La preuve qu’un Internet libre a du pour et du contre…

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