Angèle Dubeau : Un défi nommé Adams
La violoniste Angèle Dubeau signe une production audacieuse avec un portrait consacré au compositeur John Adams. Un disque exceptionnel qui s’inscrit déjà au sommet de sa discographie.
Après Philip Glass et Arvo Pärt, la violoniste Angèle Dubeau ajoute un nouveau chapitre à la série Portrait qu’elle a amorcée en 2008. Cette fois-ci, c’est le compositeur américain John Adams qui est tombé dans ses cordes. "Je fonctionne toujours de la même façon, indique-t-elle. Premièrement, la musique doit m’interpeller. Et deuxièmement, je veux aborder des compositeurs qui changent le monde. Le monde musical et intellectuel. Ces trois compositeurs, ces trois icônes de la musique contemporaine, ils ont cette faculté."
Trois oeuvres sont réunies sur cette nouvelle production qui réunit autour de la violoniste l’ensemble La Pietà et la pianiste Louise Bessette. Shaker Loops, composé en 1978, est une pièce emblématique de John Adams, directement inspirée par le courant minimaliste et la musique répétitive. John’s Book of Alleged Dances, un recueil de danses pour quatuor à cordes et bande sonore (sur laquelle on entend un piano préparé), a trouvé une nouvelle forme d’expression sur ce disque avec un arrangement original signé par Dubeau elle-même. Le quatuor fut ainsi doublé, un défi technique que la violoniste et les musiciens ont relevé avec brio. Mais c’est Road Movies, pour violon et piano, qui est le cheval de bataille de cette sélection.
"Road Movies est un coup de coeur, avoue-t-elle. Une oeuvre fascinante et complètement folle! Comme interprète, tu dois tout réapprendre. Tu n’es jamais sur les temps ou à peu près. Normalement, un temps se divise en quatre doubles. Avec Road Movies, c’est toujours une double croche après ou une double croche avant. Pendant que le piano joue un ostinato, comme une mitraillette, tes repères passent de la deuxième double à la troisième double, ainsi de suite. Tu es constamment en déséquilibre. Et il n’y a pas de procédé harmonique ou rythmique, des patterns si tu veux, comme on retrouve chez les autres compositeurs minimalistes. Et ça, c’est rien… Pour le deuxième mouvement, Meditative, la corde de sol doit être accordée en fa. Tu joues du violon depuis l’âge de quatre ans et te voilà avec une nouvelle mécanique! Adams déstabilise l’interprète et confronte ses réflexes."
La pièce Road Movies est représentative de la personnalité parfois iconoclaste de John Adams. Le compositeur de l’opéra Nixon in China s’est toujours distingué sur la scène musicale américaine, parfois au risque d’être snobé par l’élite contemporaine. "C’est un homme de bonne famille, un bourgeois de gauche. Comme étudiant, il a fait ses classes dans les meilleures écoles de composition. Ensuite, il montre une curiosité hors du commun. C’est un intellectuel, mais c’est aussi quelqu’un qui se retrouve au volant d’un Westfalia et qui traverse les États-Unis, dans les années 70, afin de s’inspirer. En face de son oeuvre, c’est le mot synthèse qui me vient à l’esprit. Il réconcilie les genres. C’est très américain comme attitude! John Adams est-il un sage homme ou un rebelle? Je crois qu’il est les deux à la fois."
À écouter si vous aimez /
Les deux précédents portraits, Gavin Bryars, Terry Riley