Timber Timbre : Sortir de l'ombre
Musique

Timber Timbre : Sortir de l’ombre

Encore méconnu du grand public, le groupe folk montréalais Timber Timbre bouleverse l’auditeur et lance Creep on Creepin’ on, un disque déjà inscrit sur nos listes de fin d’année.

S’il existait un pub six pieds sous terre, un bar pénard où les squelettes pourraient jouer au poker tout en descendant une bière à l’abri des termites, le phonographe y jouerait en boucle Creep on Creepin’ on. Quatrième production du trio montréalais Timber Timbre, l’album possède ce côté glauque – spooky, comme diraient les anglos – caractéristique du chanteur Taylor Kirk, un Ontarien fraîchement débarqué au Québec.

Frêle gaillard à la tronche inquiétante, le compositeur couche sa voix gorgée de soul sur des musiques folk, blues et doo-wop dépouillées. Pendant que valse la basse, le piano apporte une touche cabaret, l’orgue, un aspect plus terreux, le violon, une tension dramatique, et l’écho appliqué sur la voix confère une sonorité rétro rappelant les vieux enregistrements d’Elvis Presley. L’atmosphère est singulière, poignante peu importe le contexte. Il suffit de 30 secondes d’écoute pour comprendre qu’on vient de basculer dans un univers sombre, certes, mais dont la mélancolie n’a rien d’écrasant. Si la musique a pour propriété d’accentuer la beauté du moment, celle de Timber Timbre a de surcroît un effet d’apaisement, voire d’égaiement. "C’est un peu comme l’atmosphère du film Corpse Bride (La mariée cadavérique) de Tim Burton, compare la multi-instrumentiste Mika Posen. Dans ce dessin animé, un personnage est amoureux d’une morte qui l’entraîne au pays des cadavres, un endroit nettement plus coloré et agréable que le monde des vivants où tout est gris et froid, particulièrement l’attitude des vivants face à leurs semblables."

Temple solaire

Découvert en 2009 avec la parution d’un album homonyme beau à faire brailler, Timber Timbre, alors simplement mené par Taylor Kirk en solo, a aussi fait paraître deux autres disques encore plus indépendants que la mort: Cedar Shakes (2006) et Medicinals (2007). Fil conducteur à travers l’oeuvre en marge des courants musicaux en vogue, cette émotion brute, ces textes bourrés de métaphores aussi intrigantes que la trame sonore. "Je suis assez fasciné par le symbolisme, explique Taylor Kirk. Si la mort et la maladie étaient évoquées sur le précédent album (la Faucheuse apparaissait dans le vidéoclip de la pièce Demon Host), ce sont des symboles plus lumineux qui m’ont ici inspiré. À commencer par cet obélisque qui figure sur la pochette de Creep on Creepin’ on. Nous étions en voiture sur une autoroute islandaise lorsque j’ai aperçu cette curieuse pyramide. J’ai arrêté l’auto pour la prendre en photo. Je ne savais pas que ça ferait la pochette du disque. Je ne savais même pas ce que ça signifiait. J’ai compris, après avoir fait des recherches, qu’il s’agissait d’un monument érigé pour les dieux, un prisme en lien avec les rayons du soleil."

Comme c’est le cas pour de nombreux disques écrits après qu’un groupe se fut lancé dans ses premières tournées mondiales majeures, le nouveau gravé est aussi inspiré par la route et par cette excitation que suscite la formation en Europe, au Canada et aux États-Unis. Capté au studio Treatment Room dans le Mile End ainsi que dans une église de Farnham convertie en studio par Arcade Fire, Creep on Creepin’ on aborde la perte de contrôle. "J’étais très excité par la réaction à Timber Timbre, mais se retrouver en tournée, au centre de l’attention, est sans doute la chose la moins naturelle pour moi, confie Taylor. C’est ce qui m’a le plus affecté pendant nos deux dernières années de concerts. J’ai expérimenté cette perte de contrôle qui semble inhérente au succès d’un artiste, même s’il reste marginal. Soudain, nos chansons ne nous appartiennent plus, et il devient plus difficile de mener sa carrière comme on l’entend. Ça m’a réellement obsédé au départ, et je cherche toujours à conserver les rênes de notre destinée. Au fond, je serais beaucoup plus heureux si je décidais de lâcher prise comme de nombreux musiciens, mais je n’y arrive pas. Pas encore."

Fausse timidité

Voir s’est d’ailleurs heurté à cette recherche de contrôle chère à Timber Timbre lorsqu’est venu le temps d’organiser une séance photo pour la page couverture. Impossible d’envoyer un photographe, nous a-t-on dit. Le groupe vous fera parvenir un choix de photos. "On ne veut pas jouer les divas. C’est seulement que très peu de photos nous représentent bien. En concert, les gens croient que je suis hyper timide parce que je joue dans l’obscurité. J’ai même déjà porté un masque sur scène. C’est vrai que je veux conserver cette ambiance mystérieuse, mais c’est aussi parce que je sais qu’on va me prendre en photo. Je ne veux pas qu’Internet regorge de photos de moi. On vit dans une ère où plus personne ne respecte la propriété des autres, et je ne parle pas seulement du téléchargement illégal. Tout semble maintenant appartenir au domaine public. On peut prendre une photo de vous à votre insu dans un party et la diffuser sur Facebook ou Twitter. C’est malsain."

Outre cette obscurité partielle, les concerts de Timber Timbre ont été critiqués pour leur forme plus abstraite. Sans les accords d’orgue indissociables du troisième disque, les chansons de la formation vivaient autrement sur scène, devenant moins accessibles. "À un certain point de la tournée, c’était devenu un running, lance le multi-instrumentiste Simon Trottier. Tout le monde nous demandait où était passé l’orgue."

Taylor Kirk poursuit, affirmant que la situation risque d’être différente avec le nouveau concert présenté à la mi-avril à Montréal. "Il faut comprendre que j’écris d’abord les pièces à la guitare. C’est une fois en groupe qu’on ajoute des lignes d’orgue ou de piano et qu’on efface les pistes de guitare sèche parce que je ne suis pas un grand fan de cet instrument. Je ne sais pas trop pourquoi… Sans doute parce que tout le monde en joue. Mais reste que la guitare est l’instrument que je maîtrise le mieux. Voilà pourquoi on l’a utilisée sur scène plutôt que l’orgue. Mais cette fois, on a travaillé le nouveau disque en étant conscients de nos possibilités scéniques. Notre nouveau concert restera ouvert, mais il sera plus fidèle à l’album."

Timber Timbre a tout intérêt à réussir son pari. Creep on Creepin’ on figure parmi les plus beaux disques lancés depuis le début de l’année.

Timber Timbre
Creep on Creepin’ on
(Arts & Crafts)
En vente le 5 avril

À écouter si vous aimez /
Nick Cave, Bon Iver, Devendra Banhart