Malajube : Hommes des cavernes
À quelques jours de la parution du quatrième disque de Malajube, La caverne, le chanteur Julien Mineau analyse la carrière du groupe avec une franchise désarmante.
En cette période électorale propice aux promesses vides, aux attaques gratuites et à la langue de bois, notre heure passée en compagnie de Julien Mineau a eu l’allure d’une bouffée d’air frais. Rencontré pour discuter du quatrième effort de Malajube, La caverne, le chanteur et principal compositeur du groupe a multiplié les révélations que plusieurs artistes auraient tues devant l’enregistreuse.
Ainsi, non seulement nous a-t-il pris de court en affirmant avoir saboté volontairement le succès de sa formation avec le disque précédent, Labyrinthes, mais nous sommes carrément tombés des nues lorsqu’il a enchaîné avec un constat aussi brutal qu’inattendu. "Je ne vois aucun futur pour Malajube en Europe. Il y a bien 300 personnes à Londres qui sont prêtes à payer pour nous voir jouer, mais on n’arrivera pas à faire augmenter ce chiffre sans trahir notre plaisir. On pourrait se "booker" une tournée européenne n’importe quand, mais elle serait déficitaire, et je ne vois pas l’intérêt de mettre ma santé physique et mentale en péril pour percer un marché où nos chances de succès sont infimes. D’un point de vue strictement écologique, ça ne vaut pas la peine de prendre l’avion pour tenter notre chance en Europe. J’ai pas envie de faire comme plein d’autres bands et dire que ça va bien. La carrière du groupe à l’international a atteint un plafond", annonce celui qui, il y a un mois à peine, se trouvait sur les planches texanes du festival South by Southwest, propulsé par la machine Planet Québec. "On s’est tellement fait casser les oreilles avec cet événement. Il y avait des drapeaux du Québec partout. À un moment donné, je n’avais plus l’impression de donner un concert, mais bien de servir une cause politique. Ça devenait achalant."
Sortir du labyrinthe
Il y a cinq ans à peine, Malajube était pris en exemple, une preuve qu’il était possible de chanter en français et de rayonner sur la scène indé mondiale. Même le magazine Playboy s’intéressait à Julien, Mathieu Cournoyer (basse), Francis Mineau (batterie) et Thomas Augustin (claviers, voix). Or, après les 50 000 ventes de Trompe-l’oeil, Labyrinthes s’est écoulé à 20 000 exemplaires. Le recul a coïncidé avec la perte pour Malajube de ses agences de booking en Europe et aux États-Unis. Basée en Allemagne, la compagnie de disques City Slang (Arcade Fire, Caribou, Calexico) a aussi largué le groupe après avoir gravé seulement 1000 compacts de Labyrinthes. "Je ne suis pas vraiment amer parce qu’au fond, cet échec commercial, je l’ai cherché en produisant un disque moins accessible. Je ne voulais pas revivre le même tourbillon qu’à l’époque de Trompe-l’oeil et partir en tournée jusqu’à épuisement. En même temps, je regrette certains gestes. À la fin de la tournée pour Trompe-l’oeil, on a fait une semaine de promo télé en France que j’ai particulièrement gâchée. J’allais sur des plateaux avec une perruque et des lunettes fumées pour ne pas qu’on me reconnaisse. Je n’étais pas trop loquace devant les caméras. Tant qu’à être là, j’aurais dû bien faire les choses, mais ce n’est pas comme ça que je voyais la promo à ce stade de ma vie."
S’il se réfère à ce "stade de sa vie", c’est que le jeune trentenaire avoue avoir changé son fusil d’épaule. "Pas que je veuille faire plus de promo télé, mais je suis maintenant conscient que tout mon argent découle du succès de Malajube. En ce sens, c’est certain que la réaction du public et des critiques face à notre travail m’intéresse. On a même coupé des pièces de l’album sous prétexte que les journalistes n’aimeraient pas. Je ne dis pas qu’on ne sortira jamais d’album complètement expérimental, mais si on le fait, ce sera entre deux disques plus officiels qui respectent la philosophie du groupe: produire un rock amusant et accessible."
Le musicien espère même réussir à se faufiler dans la programmation des radios plus commerciales avec cette quatrième offrande. "Ce sont les mélodies qui m’ont demandé le plus de travail pour La caverne. Je les voulais accrocheuses, comme un hit de Lady Gaga, mais en plus intelligent. Avec le déclin des ventes d’albums, l’avenir de la musique passe par la radio. Aussi bien essayer d’y introduire de la bonne musique."
La lumière au bout de la caverne
N’allez pas croire que Malajube a vendu son âme au diable pour autant. Le disque décline différentes métaphores amoureuses: les liens entre un groupe et ses fans (Synesthésie), entre le musicien et son métier (Cro-Magnon), entre un chien et son maître (Chienne folle), entre l’homme et ses dépendances (Sangsues). À l’écoute de La caverne, on comprend surtout que le quatuor n’a rien perdu de sa force de frappe. Les guitares sont toujours aussi perçantes, surplombant un spectre sonore tapissé de synthétiseurs et de rythmes parfois dansants. Malgré des refrains plus marqués, la voix de Julien Mineau demeure voilée de réverbération. On comprend surtout que Malajube a trouvé son identité sonore: un rock de guitares et de claviers éclaté, influencé par la pop, le punk et le prog. "On dirait que pour rester actuel, il faut constamment surprendre l’auditeur, mais vient un temps où un groupe a trouvé son erre d’aller, un son dans lequel il se sent confortable. Regarde les Strokes, malgré un bon disque (Angles), ils accumulent les mauvaises critiques, notamment parce qu’ils ne sont plus la sensation de l’heure. Ça m’amène à réfléchir sur Malajube. Notre carrière québécoise va bien, on remplit de très grandes salles, mais le buzz du début s’estompe. Devrait-on se lancer dans un style qu’on n’aime pas juste pour surprendre? Je ne pense pas, et de toute façon, même si on développait un style différent, il y aurait quelqu’un dans le monde pour piquer notre idée et la commercialiser mieux que nous."
Sans nécessairement faire référence ici à Katie Costello, cette jeune Américaine dont la pièce Kaleidoscope Machine ressemble étrangement à Ton plat favori de Malajube, Julien confirme qu’aucune plainte de plagiat n’a été déposée dans ce dossier. "Je ne sais même pas comment ça s’est réglé. J’imagine que tout est oublié à présent. C’est correct. Ton plat favori était basé sur un riff saloon honky-tonk générique. Je ne pense pas l’avoir inventé, même si aucun autre riff saloon ne ressemble autant au nôtre que celui de Katie Costello."
Revenant à La caverne, Julien Mineau le différencie du précédent opus de par les thèmes abordés. "Je le trouve plus lumineux. Musicalement, Labyrinthes n’était pas si sombre, ce sont les paroles qui viraient au noir. J’étais peut-être allé un peu trop loin dans la mélancolie. Au lieu d’avoir 15 jeunes filles qui venaient me voir après les concerts, je me suis soudainement retrouvé avec trois weirdos de 15 ans qui pensaient au suicide. Je ne me sentais pas vraiment équipé pour leur venir en aide. Je ne suis pas psychiatre. J’espère toutefois que La caverne rendra heureux. Je n’aime pas créer de froid, et les pièces plus joyeuses fonctionnent toujours mieux en concert. Aussi bien aller dans cette veine."
Lucide, l’esprit vif, Julien Mineau prouve qu’à la sortie de la caverne, la lumière peut être tout sauf aveuglante.
Malajube
La caverne
(Dare To Care)
En vente le 19 avril