Éli Bissonnette : Les années Grosse Boîte
Musique

Éli Bissonnette : Les années Grosse Boîte

Maison de disques derrière Malajube et Coeur de Pirate, Dare To Care/Grosse Boîte célèbre son 10e anniversaire. Le fondateur du label, Éli Bissonnette, fait le point et commente l’état de notre industrie du disque, une industrie de trois étoiles et demie.

À 30 ans, Éli Bissonnette n’a pas la tronche d’un businessman. Membre du C.A. de l’ADISQ, il jure aux côtés de Claude Larivée ou de Jacques Primeau avec sa barbe pas faite et sa casquette de trucker. Or, l’ex-trompettiste de la formation ska Naked N’ Happy trône à la tête de Dare To Care/Grosse Boîte, l’étiquette de l’heure sur la scène indé québécoise grâce au succès de Malajube, Tricot Machine, Coeur de Pirate et Bernard Adamus, tous récipiendaires du Félix de la Révélation de l’année. Si l’émergence des nouveaux musiciens d’ici est surtout passée par Audiogram dans les années 90 (Jean Leloup, Bran Van 3000, Loco Locass) et par La Tribu au début des années 2000 (Fred Fortin, Les Cowboys Fringants, Les Chiens, Jérôme Minière), nous traversons présentement les années Grosse Boîte.

Fondé en 2001 par Bissonnette et le chanteur des Sainte Catherines Hugo Mudie, Dare To Care n’était qu’un simple label punk jusqu’à ce qu’Éli en prenne le plein contrôle et donne naissance, en 2006, à la sous-branche Grosse Boîte. Son but était de s’adapter à la réalité des artistes pop francophones. "À mon sens, il y avait un trou au sein de notre industrie. Si on n’avait pas fondé Grosse Boîte, je crois qu’aucune autre étiquette de disques n’aurait pris le risque de lancer le premier album d’Avec pas d’casque. Je ne sais pas ce qu’il serait advenu du groupe, mais sa disparition aurait été une perte pour la musique d’ici. Quand on a mis le duo sous contrat, le chanteur Stéphane Lafleur m’a dit qu’il n’avait pas le temps de faire de promo parce qu’il était aussi cinéaste. On savait qu’il ne donnerait pas beaucoup de concerts. On a établi l’objectif de vente à 1000 exemplaires, ce que peu de maisons de disques trouveraient acceptable."

Si le succès de Tricot Machine a forcé le label à élargir sa vision, c’est l’explosion Coeur de Pirate qui l’a catapulté dans la cour des grands. La croissance fut soudaine, difficile à gérer. "En cinq ans, on est passé d’un employé bénévole, moi, à 11 salariés. Il fallait déléguer, mais quand t’as pas de moyens, t’engages des amis sans expérience. Même si on a fait des erreurs, je n’aurais pas voulu démarrer l’étiquette avec une importante enveloppe budgétaire fournie par des partenaires financiers silencieux. La compagnie s’est montée étape par étape. J’ai tellement tout fait avec des 50$ pendant les cinq premières années que j’ai appris à me débrouiller avec peu d’argent. À l’heure où la plupart des labels gèrent une décroissance, mes années de vaches maigres ont été une très bonne école."

Et si l’industrie pouvait maintenant apprendre de Dare To Care/Grosse Boîte, quel serait le principal conseil d’Éli Bissonnette? "Ayez plus de couilles! Il n’y a pas de feeling, pas de substance. Les radios font toujours jouer la même musique. Les artistes formatent leur son pour être accessibles. Les labels refusent de prendre des risques en proposant des disques différents. Je trouve aussi qu’on voit trop de trois étoiles et demie dans les critiques de disques, mais en même temps, les productions se sont aseptisées pour ne pas déplaire. Au fond, on vit dans une société culturelle de trois étoiles et demie. C’est pas mauvais, c’est pas grandiose, c’est juste correct…"