Socalled : Le maximaliste
Musique

Socalled : Le maximaliste

Hirsute musicien montréalais de réputation internationale, Socalled brille par son ouverture aux diverses communautés culturelles qu’il met à profit sur son dernier album pop rafraîchissant, Sleepover.

Inscrit sous le nom de Josh Dolgin sur la dernière liste électorale, Socalled nous fait penser à Woody Allen. Vous trouverez la comparaison facile, la religion aidant, mais reste que le demi-chauve frisé à lunettes possède cette verve analytique et cette force créatrice surprenante qui l’a mené vers la magie, la musique, la confection de marionnettes et l’organisation d’une croisière klezmer sur le Dniepr en Ukraine…

Sur Sleepover, lancé cette semaine sous étiquette Dare To Care, il s’est adjoint une trentaine d’invités: du chanteur aux origines algériennes Enrico Macias au roi du calypso Mighty Sparrow; de l’accordéoniste moldave Sergiu Popa à la star underground du gospel californien Doris Glaspie; du rappeur Sans Pression au clarinettiste new-yorkais David Krakauer.

D’aussi loin qu’il se rappelle, soit cette maison familiale de Chelsea près d’Ottawa, Socalled a toujours baigné dans le multiculturalisme. "Mes parents ont vécu au Chili et en Russie. Il y avait beaucoup de musique du monde qui jouait à la maison, avant même qu’on invente la catégorie "musique du monde". J’avais 15 ans lorsque mon professeur de piano, un drogué notoire, m’a demandé de le remplacer dans son groupe de salsa. J’ai donc adhéré à José Francisco, un obscur groupe latino. Puis après quelques spectacles, le guitariste m’a demandé de le rejoindre dans une formation gospel jamaïcaine. Je me suis retrouvé entouré de musiciens blacks. J’ai ensuite participé à un autre groupe latino et puis argentin. Je ne saurais trop comment expliquer ce croisement des cultures arrivé très tôt dans ma carrière. J’aimais aussi le rock comme tout le monde. J’imagine que j’étais ouvert d’esprit… Ce n’est pas le cas de tout le monde?" s’interroge Socalled en fronçant les sourcils.

Téléphone arabe

Pianiste extrêmement talentueux – "je ne savais pas lire la musique, mais je pouvais gagner n’importe quel concours amateur" -, Dolgin a vite fait sa marque grâce au bouche-à-oreille et au succès underground de ses précédents albums: Hiphopkhasene (2003), The So Called Seder: A Hip Hop Haggadah (2005) et surtout Ghettoblaster (2007).

C’est ainsi qu’il arrive à s’entourer d’artistes de tout acabit. La majorité des invités sur Sleepover ont un ami qui, un jour, leur a vanté le travail du musicien-producteur montréalais. Dans le cas contraire, c’est carrément Socalled qui appelait les musiciens pour les convaincre d’embarquer dans le projet, comme pour le pianiste jazz Irving Fields, 95 ans. "Au fil des ans, j’ai entendu tellement de musiciens que je me suis mis en quête des meilleurs collaborateurs possible. Je cherche une voix, un caractère unique. Je ne cherche pas un joueur de saxophone, je cherche LE joueur de saxophone. Quand tu entends le trombone, tu sais immédiatement qu’il s’agit de Fred Wesley. Son jeu est personnel. Quand tu écoutes une chanson de Lady Gaga, tu te dis peut-être: "Wow, quelle mélodie!" Mais jamais tu te diras: "Wow! Quel bon joueur de basse." Je cherche à produire le meilleur son possible en utilisant les meilleures ressources, comme la voix magnifique de Katie Moore ou le jeu de piano de Gonzales."

Rappe ta synagogue

Avec un tel mélange de sonorités anciennes et modernes, Socalled est devenu malgré lui le parrain d’une nouvelle vague d’expression du judaïsme. Dans un mouvement de rébellion, les jeunes juifs utilisent le hip-hop pour s’affranchir des traditions. Dans la foulée est aussi né le magasine Heeb en 2002, un équivalent juif du controversé Vice Magazine, publié uniquement sur le Web depuis 2010.

Or, si la jeune communauté pense avoir trouvé un porte-parole en Socalled, elle devra revoir ses options. "On m’associe au mouvement parce que, sans le vouloir, je l’ai engendré. Pour la couverture de leur premier magazine imprimé, les gens de Heeb m’ont payé pour reprendre le concept de la pochette de mon deuxième disque. J’y avais mis une matzah (galette juive faite de farine et d’eau) sur une platine. On se réfère aussi à mon remix d’une pièce klezmer de Frank London que j’ai faite en 1998. Or, mon but n’a jamais été de revendiquer quoi que ce soit. Je veux juste faire la meilleure musique possible. C’est pourquoi je me dissocie des artistes de cette vague. Isaac Miracles est un rappeur horrible. Matisyahu est le premier juif hassidique à faire du reggae? So what? Lorsque je veux écouter du bon reggae, je sors un disque de Jimmy Cliff. Dans ce nouveau mouvement, c’est comme si le message d’affirmation de soi passait devant la qualité musicale. Tant mieux pour eux, mais je n’achète pas. Je ne me définis pas comme un juif qui fait du rap, mais comme un simple musicien. À la limite, je me fous d’être juif ou non."

On s’en balance aussi, Socalled. As long as the beat goes on!

Socalled
Sleepover
(Dare To Care)

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