Tigran Hamasyan : Rhapsodie arménienne
Dans la foulée de la parution de son album A Fable, acclamé par la critique, le déjà légendaire pianiste arménien revient triomphant au FIJM.
Propulsé à l’avant-scène avec la parution de son album A Fable, le premier sous étiquette Verve, Tigran Hamasyan garde cependant la tête froide avec une sagesse étonnante pour un jeune homme qui n’a même pas encore atteint le quart de siècle. À vrai dire, son discours témoigne de la rigueur de sa démarche musicale, amorcée dans sa tendre enfance. "J’ai grandi dans une maison pleine de musiques de toutes sortes, me confie-t-il. Mon père était un vrai fanatique de rock, mon oncle ne jurait que par le jazz et ma grand-tante avait une impressionnante collection de disques classiques."
Prédestiné au piano par la force d’une tradition, Tigran Hamasyan a commencé à chatouiller le clavier dès l’âge de dix ans et n’a pas tardé à entreprendre une exigeante formation classique, dont témoigne encore aujourd’hui son incomparable dextérité, digne d’un Art Tatum des temps modernes. "Cet apprentissage classique était incontournable, reconnaît-il humblement. Et pourtant, même à l’époque, mon coeur craquait davantage pour le jazz."
Rock & folk
De fait, ce goût pour l’improvisation allait déterminer la suite de la formation et la carrière à venir, encore que le prodige natif du pays de Khatchatourian aurait très bien pu opter pour le rock, lui qui cite la musique de Deep Purple, de Black Sabbath et de Led Zeppelin comme d’autres influences majeures sur son imaginaire créateur.
Certes, Hamasyan n’est pas le seul pianiste de jazz contemporain dont le travail semble influencé par le rock classique ou actuel. Outre Brad Mehldau, qui nous a habitués à des relectures de Nick Drake et de Radiohead, Tigran ne cache pas son admiration et un certain sentiment de fraternité pour ses contemporains Craig Taborn et Vijay Iyer. "J’éprouve énormément de respect pour Brad, que je considère comme une source d’inspiration majeure, quoique je ne sois pas fou de ses compositions. Comme interprète cependant, c’est un pianiste époustouflant; à mon humble avis, LE pianiste de jazz total."
Cela dit, comme en témoigne son plus récent disque, Hamasyan n’a aucune intention de se conformer à l’archétype du pianiste de jazz traditionnel, enfermé dans un répertoire standard mille fois ressassé. "Au fond, je n’écoute pas beaucoup de disques de jazz, je ne me sens pas tout à fait de ce monde et ma musique est bien différente", m’avoue-t-il candidement, sans cependant la moindre hostilité à l’égard d’un certain jazz propret, empesé et policé, en deuil de créativité.
On chercherait d’ailleurs en vain parmi les productions des pianistes de jazz d’aujourd’hui un disque auquel comparer A Fable. Nourri de folklore arménien, cet album enregistré par Tigran seul à son clavier. "J’avais depuis longtemps envie d’un projet solo. Jusqu’ici, j’avais surtout composé pour petites et grandes formations, et je voulais explorer le potentiel du piano solo." Gavé de fables de sa patrie et de la poésie de Hovhannes Tumanyan ("Le plus grand poète arménien!"), dont il récite deux quatrains sur l’exil et le retour au pays natal sur son disque, Hamasyan a accouché ici d’un album éminemment personnel où même Someday My Prince Will Come, standard disneyen et archi-usé s’il en est, retrouve une fraîcheur peu commune.
À voir si vous aimez /
Brad Mehldau, Vijay Iyer, Eldar Djangirov