Béatrice Bonifassi : Une rencontre réaliste
Musique

Béatrice Bonifassi : Une rencontre réaliste

Béatrice Bonifassi fut la voix du compositeur Benoit Charest, de Champion et de Beast, un groupe électro-rock qu’elle a mis sur la glace pour se consacrer à son premier projet solo présenté au FestiVoix.

Voir: Revenons d’abord sur ce qui a rendu possible ce nouveau spectacle: l’arrêt de Beast, un hiatus plutôt surprenant considérant la campagne de promotion monstre dans laquelle le groupe s’était investi. Une surprise pour tous à l’exception de Betty Bonifassi?

Betty Bonifassi: "Je crois que oui. Tu aurais dû voir les yeux de Jean-Phi Goncalves (NDLR: autre tête pensante du combo) lorsque je lui ai dit que je ne ferais pas de deuxième album. C’est encore très dur pour nous deux. Nous avons vécu une alchimie musicale très forte. Dès le début, on savait que le mariage de nos idées collait, qu’on arrivait à s’exprimer tous les deux. Puis j’ai frappé ce mur lié à la problématique de la collaboration. Plutôt que de nous orienter vers une relation souple qui aurait favorisé le dialogue quant à notre position face à l’industrie, à notre réalité, à nos objectifs, nous allions vers quelque chose de plus tendu. Les efforts de promotion ont amené une commercialité sur Beast qui m’a fait peur. J’ai dû vite faire des concessions sur des chansons que je n’aurais pas incluses dans notre premier album. Je ne les trouvais pas prêtes, mais il fallait faire vite à cause de la promo, des maisons de disques, de l’argent… Est-ce que je fais ce métier-là depuis 25 ans pour devenir "marchandable" à 40 ans? Je ne crois pas."

Parle-t-on d’un arrêt définitif?

"Disons que le retour de Beast n’est pas dans mes plans actuels."

Votre nouveau concert s’intitule Le Troquet du bout du monde présente l’Orchestre du Nouveau Monde… Un nom à coucher dehors qui en dit peu sur la nature du spectacle dans lequel vous reprenez plusieurs classiques de la chanson française (Le billard électrique de Piaf, Le temps des cerises, Parlez-moi d’amour de Lucienne Boyer, Du gris de Berthe Sylva). Vous cherchiez un titre évasif?

"J’étais d’abord séduite par l’aspect imprononçable de ce titre, mais je l’ai changé depuis pour Le tombeau des trottoirs. En musique classique, lorsque tu fais le tombeau d’un compositeur, c’est que tu déterres toute son oeuvre. C’est exactement ce que je fais avec la chanson réaliste française. La plupart des pièces interprétées lors du concert proviennent de la tradition des trottoirs ou des pierreuses. Pendant l’entre-deux-guerres et après la Seconde Guerre mondiale, lorsque tu étais une femme seule et pauvre, tu avais deux possibilités: soit tu devenais prostituée avec un maquereau, soit tu devenais chanteuse avec un maquereau aussi. Piaf avait décidé de chanter. Ces femmes se produisaient dans la rue, et surtout aux abords des cimetières où affluaient énormément de gens puisque la moitié des hommes y reposaient. Quand elles avaient froid, les chanteuses s’adossaient contre les pierres tombales réchauffées par le soleil. On les a appelées les pierreuses. Les chansons des trottoirs étaient leur répertoire."

Que trouviez-vous d’attirant dans ce mouvement aussi qualifié de chanson réaliste?

"La naissance de la chanson réaliste correspond au moment où la musique est devenue accessible pour tous. Elle n’était plus l’affaire des rois et des aristocrates. Souvent crève-coeur, ses thèmes se rapprochaient des souffrances des petites gens. Ils étaient au service de l’ensemble. Ces chanteuses ont rallié les foules alors plongées dans une profonde crise économique, ce que nous traversons encore aujourd’hui."

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Édith Piaf, Les Triplettes de Belleville, la chanson française