David Goudreault : Le beau risque
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David Goudreault : Le beau risque

Après avoir ravi le titre suprême de sa discipline, David Goudreault quitte la scène slam pour en conquérir de nouvelles.

"Fais une liste d’épicerie, mets-y du sens et de la beauté, pis je vais triper!" Voilà le genre de conseils que prodigue David Goudreault lors de formations (de fructueuses initiations au slam) qu’il donne régulièrement dans les écoles de la province. La démocratisation de la poésie est l’une des nombreuses causes du nouveau porte-étendard du slam québécois. Si le Sherbrookois embrasse large, sachez qu’il sait viser juste.

Au printemps dernier, lorsqu’il s’est envolé pour la Coupe du monde de poésie – "On s’entend que c’est du slam!" -, on imagine bien qu’il n’avait pas qu’une facture d’Hydro à lire afin d’épater le jury. La preuve: il en est ressorti vainqueur. "C’est la plus grande compétition de poésie performée, toutes langues confondues, relate le champion du monde. Il y avait 16 pays participants. C’était la cinquième édition et c’était la première fois qu’un francophone l’emportait, même si ça se déroule à Paris. Peut-être que les juges sont plus sévères envers les francophones…"

David Goudreault fait bien de ne pas atténuer la portée de sa victoire, car il s’agit d’un véritable exploit. Sa principale force fut la variété de ses textes. "Tout le monde était sur la grosse coche, mais chez certains poètes, il y avait surspécialisation. Tsé quand ça fait trois fois que tu fais pleurer le monde… Moi, je passais de l’humour au tragique. Et je suis le seul qui a franchi le quatrième mur, qui est descendu dans la foule."

Que ce soit dans une salle de classe ou au Tremplin (temple sherbrookois du slam), David Goudreault a développé la capacité de jouer avec son public. "Ce que je veux, c’est de l’échange, du partage. C’est au-delà du cucul la praline et de la belle poésie people. Ce qui m’intéresse, c’est le relationnel, que ce soit avec ma blonde ou à l’échelle du Québec."

DU JE AU NOUS

Depuis qu’il est de retour au bercail (et car nul n’est prophète en son pays), David Goudreault a su intriguer de nombreux médias nationaux. L’une de ses premières interventions "post-championnat" fut dans une émission estivale à la Première Chaîne de Radio-Canada.

Tous ceux qui avaient syntonisé la fréquence ont pu comprendre que Goudreault est un artiste ayant la souveraineté du Québec à coeur. La présence de Bernard Landry a motivé le slameur à communiquer ses convictions d’un océan à l’autre. "Je devais être là à 9h30, raconte-t-il. Je suis parti de Sherbrooke à 7h, et à 8h15, j’étais en plein embouteillage avec un pont Champlain bouché. Pendant que j’étais dans le trafic, j’ai entendu qu’il y avait Bernard Landry à l’émission. Durant ma psychose, je me suis dit que si j’arrivais à temps, j’insisterais pour faire Kebekwa."

En voici un extrait: "Moi, je veux sortir autant que laisser entrer / Alors faut s’y mettre, maîtres chez nous / Plus jamais à genoux, le je du nous / Passera par toi / Vivre / Vivre ensemble / Un Québec libre".

"Je sais que je m’aliène une partie du public qui ne veut pas entendre parler de politique – et on s’entend que le mouvement souverainiste a déjà eu le vent dans les voiles plus qu’en ce moment -, mais pour moi, c’était une occasion de partager ça avec quelqu’un d’important. Ça faisait plus de sens." Cette recherche de sens passe donc par une poésie engagée, un terreau fertile, mais dangereux. "C’est un beau risque à prendre. Oui, je suis de gauche. Oui, je suis politisé. J’ai des convictions à défendre. Je l’assume et je milite. Il y en a plusieurs qui dénoncent, mais que tu ne vois jamais nulle part."

D’ailleurs, juste le fait de prendre parole peut représenter un risque. "J’ai réussi à ne pas me prostituer à travers la démarche du slam. Je suis resté cohérent envers mes valeurs. Parfois, ça se perd dans l’art. Dans l’ensemble, je crois qu’on peut savoir où se trouve ma sensibilité."

Même si David Goudreault n’est pas un "poète au je ", il joue rarement un rôle secondaire dans les situations qu’il récite ou rappe. Même mal en est un bon exemple. "C’est peut-être mon texte le plus personnel. J’y parle de blessures, de relations perdues. Tsé, ça fait trois ans que je ne consomme pas et que je suis heureux. Oui, on a le droit d’être poète et abstinent."

LA FIN DU SLAM

Ces jours-ci, David Goudreault négocie avec certaines maisons d’édition afin de concrétiser ce qui serait son tout premier recueil de poésie. "J’ai vraiment hâte de sortir cette plaquette parce qu’il y a des choses irritantes avec le slam de poésie. À l’oral, je n’ai pas le choix d’utiliser des stratégies, mais à l’écrit, je ne me soucie pas de la rime, du son. Ça me mène complètement ailleurs." Dans le slam, l’équilibre est fragile entre le fond et la forme.

Ainsi, immédiatement après avoir remporté les grands honneurs, Goudreault savait qu’il se retirerait du slam, ces joutes qui reposent sur le vote du public. "Ma carrière de slameur est finie. À la finale, ce fut un soulagement. Je me suis dit: "OK. Je peux arrêter la compétition." Je pouvais enfin lâcher prise."

S’il est devenu un ex-slameur, le Sherbrookois demeure un poète de l’oralité, un adepte du spoken word. De petites leçons d’étymologie sont à prévoir… "Je sais. Je vais souvent devoir expliquer la différence entre slam, poésie et spoken word. C’est OK parce que je veux redonner au slam ce que le slam m’a donné. Ce que j’ai réalisé, c’est que je suis un artiste de scène. Ce que je fais maintenant, ce sont des spectacles d’humeur. Je veux émouvoir, faire rire, réagir…"

Pour atteindre de nouveaux publics, David Goudreault s’est entouré de musiciens (Anaïs Constantin au violoncelle, Sébastien Corriveau à la basse et à la guitare, Dominique Rheault au piano et Maxime Dumoulin à la batterie), un peu comme l’a fait jadis Grand Corps Malade, un "arbre qui cache la forêt" également issu de la scène slam. "Là, je vais m’investir plus dans les spectacles. Avec le band, on travaille pour avoir davantage de cohérence musicale, amener ça ailleurs. Je professionnalise ma démarche artistique."

Et il apprivoise sa voix. "Elle me déplaît de moins en moins. J’essaie de moduler un peu, mais je ne serai jamais un chanteur. Ma voix peut être nasillarde à l’occasion… Je l’assume. Si Guy A. Lepage, qui a l’une des voix les plus irritantes du monde, réussit à parler à la nation toutes les semaines, je crois que je suis capable de passer par-dessus ça. Et Richard Desjardins, on s’entend qu’il n’a pas une voix pour bercer les fillettes!"

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