Elvis Costello : Ameublement Elvis
De retour avec ses Imposters et guidé par ses instincts de vieux routier, Elvis Costello anticipe sa rencontre avec le jeune public d’Osheaga.
Après 56 hivers et plus de 35 ans de carrière, Declan Patrick MacManus aurait toutes les raisons d’être un brin routinier sur les planches. D’honorer ses projets les plus récents – en ce moment, le vaguement roots et Tin Pan Alley National Ransom, lancé l’automne dernier – avec juste ce qu’il faut de classiques (Allison, Radio Radio, Watching the Detectives, etc.). Merci, bonsoir.
Mais celui qu’on connaît mieux sous le pseudo d’Elvis Costello continue d’aborder chaque concert comme il le fait avec chacun de ses disques: comme une expérience à part entière, un nouveau départ, voire une occasion de se réinventer. D’où ces deux participations fort différentes l’une de l’autre au Festival de jazz, en 2003 et 2006, l’une, qui marquait son retour à Montréal après plusieurs années d’absence, misant sur les pans les plus jazzy et modérés de son répertoire, l’autre, bonifiée par la présence de cuivres, inspirée d’un album en duo avec le pianiste soul louisianais Allen Toussaint, The River in Reverse, pondu au lendemain du désastre Katrina.
De ce dernier passage, Costello garde d’ailleurs un excellent souvenir. "C’était un moment spécial. Allen, avec qui j’avais déjà collaboré dans les années 80, qui se remettait au travail après Katrina… Le disque n’était que le point de départ. Sur la route, on a eu l’occasion de revisiter notre travail passé, de créer de nouveaux arrangements… Le Festival de jazz nous a donné une belle tribune et un auditoire attentif. On a fini par emporter ce show en Europe", relate-t-il, remerciant par ailleurs le FIJM de lui avoir "rouvert les portes de la ville", ce qui a mené, aujourd’hui, à son retour dans le cadre du festival Osheaga.
Le cas Osheaga
Costello sait très bien qu’il y jouera devant un auditoire radicalement différent de celui du Festival de jazz et promet un concert en conséquence. Celui-ci sera une variation du spectacle Spinning Songbook, qu’il promène un peu partout depuis le début de l’année, lors duquel des membres du public viennent à tour de rôle faire tourner une roue ornée des titres de dizaines de chansons provenant de l’un ou l’autre de ses quelque 30 efforts studio, indiquant au groupe la prochaine à jouer. "La roue est problématique pour les festivals. Faire monter les gens sur scène induirait le chaos, le rythme serait beaucoup trop lent et l’objet lui-même est un peu encombrant – il fait 15 pieds de haut! explique-t-il. Mais ce concept n’en a pas moins considérablement élargi notre répertoire – nous avons dû apprendre 120 chansons pour être parés à tout. Ça nous donne un éventail de possibilités extrêmement riche quant aux chansons qu’on peut choisir."
Justement, quoi choisir lorsqu’on se présente devant un public essentiellement dans la vingtaine, venu entendre un bouquet de groupes indie-rock de l’heure? Le vétéran se fait évasif, insistant sur l’importance de "suivre son instinct", mais se montre véritablement excité par le défi. "Une chose essentielle distingue Osheaga du Festival de jazz, et c’est qu’il s’agit d’un véritable festival et non d’une série de concerts. Plusieurs artistes se succèdent sur scène pendant une même journée; les contrastes sont nombreux et il n’y a aucune garantie que tout le public nous ait déjà entendu avant, peu importe qui on est! C’est un bon point de départ, je trouve. Dans un sens, c’est le genre de contexte que je préfère. Parce que chaque chanson, peu importe sa valeur historique, compte. On ne peut s’attendre à aucune réaction sentimentale, ni avoir l’arrogance de croire que certaines seront reconnues par la majorité; la musique n’a de valeur que celle de la performance! Donc, je ne tiens rien pour acquis, je veux juste jouer."
La nouveauté cachée
Prolifique – il continue de lancer environ un album par année – et reconnu pour ses changements stylistiques abrupts, Costello assure avoir encore le même plaisir à revisiter Watching the Detectives, Radio Radio et autres tubes de ses années new-wave. Sa constante mobilité artistique l’amène à trouver un peu de nouveauté même dans les trajectoires déjà empruntées, à commencer par cette réunion encore fraîche avec les Imposters – essentiellement les Attractions, avec qui il jouait dans les années 70 et 80 (le claviériste Steve Nieve et le batteur Pete Thomas), mais sans le bassiste Bruce Thomas. "Je ne crois pas qu’on n’ait jamais aussi bien joué! C’est peut-être parce qu’on a passé un peu de temps à part, mais tout donne l’impression d’être nouveau", observe le binoclard.
Nouveauté qui filtre jusque dans les reliques: "Les gens pourraient être surpris par la tournure qu’ont prise ces chansons, aujourd’hui. Le band les joue en ce moment avec une urgence étonnante. Ça vient peut-être du fait de les redécouvrir après les avoir laissées de côté. Elles ne sentent pas le réchauffé ni ne me donnent l’impression d’avoir été surjouées."
À côté de ces parures mille fois portées, plusieurs autres, pratiquement jamais sorties du placard, passent le cap de la scène pour la première fois durant la présente tournée. "Nous avons des albums entiers qui n’ont presque jamais été joués live! Les chansons et l’attachement qu’on leur porte évoluent selon une échelle bien particulière. Quand on les enregistre, on n’a aucune idée d’où elles vont aller. On s’efforce de les jouer le mieux possible durant ces quelques heures qu’on passe en studio, puis on les oublie et on voit comment elles évoluent…"
Il y a bel et bien du Elvis pour toutes les occasions. En 2006, lors de sa dernière visite au FIJM, Episode of Blonde, titre obscur du sous-estimé When I Was Cruel (2002), a bien profité des cuivres en présence, au point de brûler avec la même intensité que les vieux classiques. "C’est ce qu’on constate à tout coup, commente le principal intéressé. Les soi-disant "chansons connues" sonnent une cloche lorsqu’on les joue, mais parfois, celles qui rejoignent le mieux le public sont celles qui le sont à peine. Sur scène, elles sont perçues dans un nouveau contexte et peuvent parfois prendre un nouveau tournant."
À voir si vous aimez /
Joe Jackson, The Clash, XTC
Osheaga mon amour
Outre les valeurs sûres que sont les Flaming Lips et Death Cab for Cutie (lisez nos entrevues dans les pages suivantes), on attend avec curiosité de voir ce que nous réserve l’extraterrestre R&B Janelle Monáe, dont les ventes de disques ont bondi de presque 5000% en Angleterre après sa participation au dernier festival Glastonbury. Eminem, KiD CuDi, City and Colour, Lupe Fiasco, le Sam Roberts Band ainsi que l’intéressante recrue britannique Ellie Goulding donnent un lustre particulièrement pop à cette sixième édition, tandis que côté indie/découvertes/curiosités, il ne faut pas rater The Low Anthem, Braids, Suuns, PS I Love You, Alaclair Ensemble et l’électroïde teuton Robot Koch. Les fraîchement réunis Death From Above 1979 et Cypress Hill se chargent quant à eux de la nostalgie et du défoulement. Chapeau à qui a pensé à programmer ces derniers le dimanche à… 16h20.