The War on Drugs : Brigade stupéfiante
The War on Drugs combine le flou et le terre à terre.
Sous des dehors classiques, le rock du combo philadelphien The War on Drugs renferme mine de rien une dualité intéressante. Dans le coin gauche: des compositions très "col bleu", austères, marquées au fer par Springsteen, Dylan et autres voix prolétaires. Dans le coin droit: une facture atmosphérique, hallucinogène, sertie de fuzz et d’écho, évoquant l’ère shoegaze.
Adam Granduciel (surnom attribué par un professeur de français, dérivé de son patronyme original, Granofsky), seul maître à bord du navire à équipage variable (lequel comprend parfois des musiciens de Kurt Vile, qui a aussi jadis fait partie du groupe), s’amuse qu’on puisse considérer les deux facettes comme contradictoires. "Springsteen se basait sur les débuts du rock et le vieux doo-wop. J’ai environ trois décennies de plus dont je peux m’inspirer", commente-t-il simplement. Les rapprochements avec le shoegaze lui sont presque exotiques: "Ça n’est même pas une musique que j’ai vraiment écoutée. J’aime quelques groupes du genre, comme My Bloody Valentine, mais plus jeune, j’écoutais surtout du classic rock. Cette dimension de ma musique s’est surtout développée à force d’enregistrer par moi-même, d’expérimenter", précise-t-il.
Granduciel profite d’un rare congé à jouer avec son chien à la veille de reprendre la route avec The War on Drugs. Quelques jours auparavant, il était encore en tournée avec Kurt Vile et ses Violators. L’association n’est pas sans frustration pour le chanteur, guitariste et multi-instrumentiste, qui doit répondre à un nombre croissant de questions sur son vieil ami à mesure qu’augmente la popularité de ce dernier. "Les gens extrapolent un peu trop sur la marque que Kurt a pu laisser sur The War on Drugs, déplore Granduciel. Il n’a jamais composé dans ce groupe et les gens oublient qu’on peut m’entendre sur chacun de ses disques à lui." La grande similarité entre les deux univers s’explique, selon Granduciel, par le fait que les deux artistes ont joué "énormément de musique ensemble". "Il n’a jamais été question qu’il reste un membre permanent. Il a toujours fait sa musique en solo. Je n’ai pas roulé des yeux quand il est parti; c’était dans l’ordre des choses."
The War on Drugs, entre-temps, assoit plus fermement que jamais son identité avec Slave Ambient, second opus paru cette semaine après un mijotage particulièrement long. "J’ai toujours fait attention aux enchaînements, à ce que chaque enregistrement représente un tout homogène. En ce sens, le nouvel album est une suite logique de Wagonwheel Blues (2008) et de nos trois EP, que je considère également comme des albums. Mais j’ai vraiment porté une attention encore plus particulière aux détails sur Slave Ambient, d’une manière qu’il est probablement impossible de saisir si on n’a pas entendu les albums précédents", explique Granduciel, qui a passé jusqu’à trois ans sur certains morceaux. "Plusieurs ont été terminés plusieurs fois, puis recommencés à zéro à mesure que je cherchais à peaufiner certains éléments. Si tu m’avais dit, il y a deux ans, que l’album serait finalement terminé aujourd’hui, je ne t’aurais pas cru."
L’arme de choix de Granduciel: une machine à ruban avec laquelle il trafique des sons produits au sampler. "J’ai acheté cette machine lorsque nous avons eu notre contrat de disque. Elle me permet d’enregistrer, mais aussi d’accélérer, de ralentir ou d’altérer la texture des sons. Ces parcelles de musique forment plus souvent la colonne vertébrale de nos chansons."
Rat de studio, Granduciel? Assurément, quoique pas fâché de finalement sortir de son trou. "Oui, j’ai besoin du studio pour créer, mais je ne pense pas que les chansons perdent leur âme lorsqu’elles passent à la scène. Au contraire, elles continuent de vivre autrement. En fait, maintenant, c’est la partie amusante qui commence."
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