Colin Stetson : À bout de souffle
Musique

Colin Stetson : À bout de souffle

Colin Stetson redonne au saxophone ses lettres de noblesse un essoufflement à la fois.

Le saxophone n’a pas exactement eu la cote ces dernières années. La seule mention de l’instrument évoque la caricature du soliste en camisole adossé à un mur de briques poussant à la lune des plaintes cheesy sur fond de jazz-pop mièvre et autres archétypes pénibles.

Colin Stetson le réalise pleinement. "Tout ça vient de ce que j’appelle "la grande noirceur des années 90"", explique l’atypique musicien. "Quand la scène grunge est survenue, il y a eu un grand revirement dans la pop: le solo de saxophone, qui était crucial dans la pop des années 80, a été jeté plus brutalement que tout le reste. Au même moment, il y a eu un écoeurement généralisé quant au fusion; Kenny G, Candy Dulfer et tout le mouvement smooth jazz sont arrivés… C’était le parfait mélange de circonstances pour enterrer l’instrument. On est tout juste en train d’en sortir."

Installé à Montréal depuis 2007, l’Américain a assurément amené l’instrument ailleurs. D’abord aux côtés d’une brochette non négligeable d’artistes (Tom Waits, Arcade Fire, TV on the Radio, Bell Orchestre, Bon Iver, David Byrne, etc.), puis en solo. Son plus récent album, New History Warfare Vol. 2: Judges, a beau avoir été entièrement conçu au moyen du registre de cuivres et de vents qu’il maîtrise (sax basse, alto et ténor; clarinette, cor et flûte), la matière évoque davantage les univers de New Order, Public Enemy, godspeed you! black emperor, Tim Hecker ou Sonic Youth que… la musique de saxophone. Stetson rigole à la mention de "musique de saxophone". "On associe spontanément le saxophone au jazz. Ça se comprend, puisqu’il y a un saxophone dans le logo d’à peu près tous les festivals de jazz du monde, mais si on remonte dans le temps, le saxophone était aussi l’instrument de prédilection des orchestres militaires, des ensembles de musique classique, et c’était le premier instrument rock avant la guitare électrique! Pour moi, tout est de la musique de saxophone."

"Peu de gens entendent mes vraies influences, indique-t-il. Lesquelles, pour le dernier disque et ce que je fais maintenant, sont surtout du côté de la musique gospel d’avant-guerre et du métal – spécifiquement le black métal contemporain. Un peu de musique électronique, aussi – des gens comme Nobuzaku Takemura -, mais aussi Glenn Gould."

L’artiste se distingue par des empilages de motifs continus laissant croire qu’il s’aide d’un échantillonneur. En vérité, tout est exécuté live grâce à une technique appelée "respiration circulaire". Souvent utilisée par les nageurs, elle donne l’impression que le sujet ne reprend jamais son souffle. À voir Stetson haletant et suintant sur scène après chaque morceau, l’effort semble considérable. "La plupart de mes pièces sont construites sur l’étirement de mes limites physiques. Je suis constamment au pied du mur", confirme-t-il.

Tout cela est bel et bon, mais une question existentielle demeure: Careless Whisper ou Baker Street? "Awww, man, celle-là est difficile. Y a-t-il une option C pour toutes ces réponses? Car c’est celle-là que je dois choisir."

À voir si vous aimez /
Tim Hecker, godspeed you! black emperor, Sonic Youth