Alain Lefèvre : De concert avec Alain
Musique

Alain Lefèvre : De concert avec Alain

Alain Lefèvre plonge à nouveau dans le vaste répertoire pianistique et choisit Rachmaninov pour amorcer la saison. L’interprète s’affiche avec flegme et passion.

Pour l’instant, la musique d’André Mathieu n’accapare pas l’esprit du pianiste Alain Lefèvre. Après avoir consacré un grand chapitre de sa carrière à l’oeuvre du compositeur québécois et en être devenu l’ambassadeur sur toutes les tribunes et un peu partout dans le monde, l’interprète s’accorde un répit et passe à autre chose. Maintenant, il planche sur quatre projets discographiques, dont le premier sera voué au quatrième concerto du compositeur russe Sergueï Rachmaninov et accompagné par Le poème du feu (oeuvre pour piano, orchestre et choeur) d’Alexandre Scriabine.

L’artiste semble tourner la page et entrevoit avec enthousiasme cette première collaboration sur disque avec l’OSM et le chef d’orchestre Kent Nagano. "Ce qui a été difficile avec André Mathieu, c’est que non seulement il a fallu dépoussiérer, restructurer et éditer son oeuvre, mais il a fallu convaincre tout le monde, illustre-t-il. Convaincre, ça demande beaucoup d’énergie, je l’ai constaté. Avec les années, les gens semblaient croire que je ne jouais que Mathieu, alors qu’il n’est qu’une facette de mon répertoire. Mes premières amours en musique, c’est autre chose. Mon premier disque était consacré à John Corigliano, un compositeur contemporain. Et mon deuxième, c’était un album de musique baroque. J’ai fait 28 disques en carrière, seulement 4 pour André Mathieu. Faites le calcul, vous verrez que je suis demeuré un interprète à part entière."

Voilà maintenant presque un an que le pianiste inscrit le Concerto pour piano n°4 de Rachmaninov à ses programmes. Cette oeuvre, qu’il interprétera à Québec en compagnie de l’OSQ et du chef d’orchestre Rossen Milanov lors de l’ouverture de la saison de l’institution, est un choix significatif pour Alain Lefèvre. "Je constate que c’est un concerto à découvrir. On pourrait dire que c’est le mal-aimé des quatre ou même des cinq oeuvres pour piano et orchestre de Rachmaninov, car la Rhapsodie sur un thème de Paganini s’ajoute à celles-ci. L’un des pianistes que j’admire le plus, c’est Arturo Benedetti Michelangeli, l’un des plus grands pianistes de tous les temps et une grande inspiration pour moi. Parmi les cinq oeuvres pour piano avec orchestre de Rachmaninov, la seule que Michelangeli interprétait, c’était la quatrième. Pour moi, c’est un indice supplémentaire qui nous indique à quel point cette oeuvre possède des qualités uniques."

Ce concerto semble aussi une forme d’exercice de synthèse pour le compositeur, et Alain Lefèvre paraît sensible à ce fait. En plus d’une variation sur un thème emprunté à l’une de ses Études-tableaux, Rachmaninov met en relief dans ce concerto quelques citations musicales, conférant à l’oeuvre un caractère symbolique. "Aussi, il a ce fameux leitmotiv, emprunté au Dis irae, que l’on entend dans le troisième mouvement. Un thème musical qu’il chérissait. Je vois cette oeuvre comme un concerto à clés, une composition énigmatique. C’est brillant, dans le sens d’intelligent. Pour moi, c’est le Rachmaninov de L’île des morts", indique-t-il, faisant référence au poème symphonique du compositeur russe inspiré par le tableau d’Arnold Böcklin.

Le mal-aimé

Lors de la création de ses oeuvres, Sergueï Rachmaninov n’a pas eu la vie facile. Connu tout d’abord comme un pianiste virtuose et un grand interprète (de Chopin, entre autres), à titre de compositeur, l’artiste subit plusieurs revers. De plus, après qu’il eut entamé l’écriture du quatrième concerto en 1914, la révolution éclate en Russie en 1917, forçant l’artiste à s’exiler aux États-Unis. "Il existe trois versions de ce concerto: celles de 1926, de 1928 et de 1941 [la plus jouée]. Lorsqu’il a retouché la version originale, on a l’impression que Rachmaninov a atténué son côté "russe" et qu’il a fait des compromis. En 1941, on le retrouve à Beverly Hills où il tente, une troisième fois, de plaire avec son quatrième concerto. Lorsqu’on étudie la version de 1926, c’est clair. Il n’y a aucun compromis là-dedans. Sur le plan technique, et dans la dynamique avec l’orchestre, c’est une version très exigeante. Comme on dit en bon latin: c’est capoté!"

C’est plus fort que lui, Alain Lefèvre veut se porter à la défense des négligés, et ce concerto semble en être un. "Tout le monde connaît les deuxième et troisième concertos; les maisons d’orchestre les exigent et les proposent. Moi, je suis chanceux! Kent Nagano est emballé par ce quatrième concerto et Québec m’invite pour l’interpréter en grande première. Maintenant, nous verrons si le public peut se laisser émouvoir par cette oeuvre. Ça, eh bien, c’est mon travail."

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