Feist : Métaux raffinés
Musique

Feist : Métaux raffinés

Basculer vers l’automne sera beaucoup plus facile avec Metals de Feist dans nos oreilles. Retrouvailles attendues avec une chanteuse/musicienne complexe, intuitive et en constante évolution.

Quatre ans ont passé depuis The Reminder, gagnant de six prix Juno, en nomination quatre fois aux Grammy, sur la liste courte des finalistes du Polaris 2007 (remporté cette année-là par Patrick Watson). Déjà sur une belle lancée depuis Let It Die, Feist a vu son empire prendre beaucoup d’envergure: tournées de par le monde dans des salles de plus en plus vastes, performances dans les gros shows américains (Saturday Night Live, Sesame Street), de toutes les playlists des 5 à 7 grâce à d’irrésistibles bonbons pop comme My Moon My Man, I Feel It All, 1234

Puis, au bout d’un moment, après un gros spectacle généreux au Centre Bell et de nombreux autres tant en Europe qu’en Amérique, Feist a décidé de redevenir Leslie. Elle a refermé l’étui de sa guitare, laissé derrière elle, le temps d’une pause, l’enivrement des feux de la rampe. "Quand je me suis arrêtée, l’envie d’écrire ne m’est pas venue tout de suite. J’étais claquée, il fallait que je m’éloigne un peu des échos de The Reminder… J’ai pris du temps pour moi, raconte Feist, beaucoup plus à l’aise en entrevue aujourd’hui qu’à ses débuts. Au bout d’un moment, j’ai renoué avec ce sentiment de solitude fertile où les attentes à mon égard n’étaient en fait que les miennes. J’ai recommencé à m’orienter à partir de ma boussole interne. Et c’est dans cette réclusion calme et sereine que j’ai pu recommencer à écrire."

La suite des choses a déboulé: "J’ai composé toutes les chansons de Metals l’automne dernier. À Noël, c’était terminé, et dès février, nous étions en train d’enregistrer."

Métaux précieux et malléables

Quelques écoutes sont nécessaires avant de pouvoir s’approprier ce quatrième album, qui ne contient, sachez-le, aucun hymne pop léger dans la veine des Mushaboom, 1234, My Moon My Man, etc. Metals est d’un autre tonneau: moins immédiat, à première vue plus austère. Mais au fil des écoutes, il révèle une profondeur qui sied bien à la chanteuse. Les arrangements de cuivres (auxquels ont grandement contribué Colin Stetson et Evan Cranley) et de cordes font vibrer la fibre sensible de l’auditeur. Les nouvelles chansons sont à la fois rudes et raffinées, comme les paysages de Big Sur en Californie où Metals fut enregistré dans une grange mal chauffée, là où Feist a repéré l’arbre en forme de F que l’on aperçoit sur la couverture du disque, rugueuses mais travaillées, comme l’élément qui a inspiré le titre de l’album. "Le métal prend plusieurs formes: minerai brut lorsqu’on le cueille, liquide bouillant au coeur de la terre, minéral accroché à la roche ou au cristal qui l’abrite. Il se forme naturellement dans la nature, mais une fois récolté et transformé par la main humaine, il sert d’ambitieux projets d’architecture, ou prend la forme d’un joli bijou délicat. J’ai lu pas mal sur les anciennes civilisations et sur l’effet qu’avait eu la découverte du métal dans leur évolution. Certains en ont fait des outils, d’autres, des armes pour anéantir l’ennemi. Les Aztèques s’en servaient pour amplifier l’énergie solaire. Le métal est malléable; on peut en faire ce qu’on veut."

Amalgames complexes

L’enchaînement des quatre premiers titres s’avère particulièrement invitant; l’album s’ouvre avec The Bad in Each Other, une chanson dans laquelle Feist partage le micro avec Bry Webb des défunts Constantines. Superbe enchevêtrement des voix, la féminine, tout en feutre, doucement ébréchée, et la masculine, baryton aux lueurs cuivrées évoquant le timbre d’un Bill Callahan. Dès le début, on comprend que la guitare tiendra un rôle central sur l’album. Les choeurs et les arrangements en adoucissent les aspérités, ouvrent l’espace encore davantage. On reconnaît le piano de Gonzales à l’arrière. Bien sûr, Feist a rameuté les suspects habituels, Mocky inclus, tous coréalisateurs de l’album avec elle.

Sur Metals, la question de la perspective n’est pas sans importance. Influencée par les écrits de l’auteur américain John Steinbeck dont elle a traversé l’oeuvre au complet, Feist a raffiné son songwriting, délaissant la première personne pour épouser une narration omnisciente. "Les idées-clefs, sur cet album, sont les miennes, mais j’ai tenté de les formuler comme si elles provenaient d’une sorte de sagesse ancestrale. Tu sais comment la sagesse de nos grands-parents est faite de formules simples et irréfutables, parce que basées sur des faits? Qui peut s’opposer à la logique d’un dicton comme "Mieux vaut prévenir que guérir"? Le point de vue du narrateur permet une certaine distanciation par rapport au propos. Les chansons de Metals sont livrées de manière moins subjective. J’ai observé les gens autour de moi, mes amis proches, l’effet qu’avait le passage du temps sur eux. Pourquoi certains se sortent-ils de situations terribles avec une étonnante résilience, alors que d’autres sont anéantis par des trucs bien moins graves… C’est le genre de réflexions qui ont nourri l’écriture des chansons."

Sur l’excellent DVD Look at What the Light Did Now, paru en début d’année – un must pour percer un tant soit peu le mystère Feist -, des vidéos d’archives la montrent, il y a une bonne décennie, alors qu’elle était l’accompagnatrice délurée de Gonzales. Elle présentait un tout autre pan de sa personnalité au public à l’époque. Reste-t-il un peu d’espace aujourd’hui pour la fille un peu fofolle qui s’époumonait dans des bands punk rock de Calgary et incarnait Bitch Lap Lap avec Peaches dans une autre vie? "Oui, bien sûr! C’est devenu plus subtil avec le temps, mais j’essaie toujours d’intégrer un peu d’entertainment dans le puzzle. Là, je commence à penser à des accessoires de rodeo girl pour les spectacles…" Feist sera au Métropolis le 3 décembre. Ce qui nous laisse juste assez de temps pour bien apprivoiser les chansons de Metals.

Feist
Metals
(Polydor)
Sortie le 3 octobre

À écouter si vous aimez /
Cat Power, Eleni Mandell, Marie-Pierre Arthur