Handsome Furs : L'exil salvateur
Musique

Handsome Furs : L’exil salvateur

Handsome Furs est maintenant l’obsession d’un seul homme, et celui-ci en fait une affaire de couple. Le loup ne parade plus et ce tandem est devenu un groupe à part entière.

La voix est caverneuse et l’individu est réfléchi. Après quelques tentatives, nous réussissons enfin à joindre Dan Boeckner, en Autriche, où Handsome Furs s’apprête à donner un concert le soir même. Le chanteur et compositeur du groupe semble jouir pour la première fois d’une pause à long terme de Wolf Parade pour se consacrer à ce duo qu’il a mis sur pied avec sa compagne et épouse Alexei Perry, auteure et claviériste. Boeckner vit à fond de train sur la route depuis la parution de Sound Kapital au printemps dernier et il peut enfin tenter le tout pour le tout avec ce nouveau chapitre. "On est toujours trop occupés en tournée, s’exclame-t-il, surtout celle-ci, qui est sans doute le chapitre le plus long qu’on passe en Europe depuis que ce groupe existe. Cinq ans déjà. Et l’Europe, c’est un grand mot. C’est trop réducteur, d’un pays à l’autre, c’est différent. Et j’espère que tu n’es pas de ceux qui vont me dire qu’on a décidé de faire une synthèse du son électro issu de l’Europe de l’Est… Je ne vois que ça dans les critiques pour Sound Kapital. Si tu me ramènes cette comparaison, je te mets au défi de me nommer trois artistes d’Europe de l’Est qui font de l’électro!"

Voilà une introduction qui fait plaisir et qui ouvre la porte. Le défi, on le met de côté, attardons-nous plutôt à l’individu. Ce n’est pas fini pour Wolf Parade, et le principal concerné veut taire toute rumeur de séparation. L’artiste a tout simplement le goût de vivre sans compromis cette nouvelle création en couple et, surtout, de voyager. Lorsque questionné sur l’image que le tandem Boeckner-Perry impose, soit celle de bohémiens à la recherche de l’étranger et du dépaysement, le maître à penser d’Handsome Furs et de Wolf Parade (qualificatif qu’il déteste entendre) avoue une certaine propension vers la fuite. "Je crois que je n’ai jamais été aussi heureux qu’aujourd’hui. Il y a une forme d’équilibre lorsqu’on se retrouve sur la route. Aujourd’hui, je suis en Autriche, à quelques heures d’un spectacle, avec en tête les autres destinations qui vont s’ajouter dans les prochains jours. Il fait beau et je suis à Graz. C’est magnifique! Il y a cinq ans, je n’aurais même pas pu m’imaginer de telles conditions de tournée. Handsome Furs n’était qu’un projet embryonnaire à l’époque, une sorte de prétexte. Un prétexte pour je ne sais trop quoi d’ailleurs!" constate-t-il en riant.

Alors qu’il s’allume une cigarette et s’excuse, on interroge l’individu sur ses ambitions à titre de musicien. Quiconque a vu Wolf Parade en spectacle en garde un souvenir impérissable. Difficile de concevoir aujourd’hui, alors que Wolf Parade aurait pu connaître la même carrière qu’Arcade Fire, qu’un artiste en fasse abstraction au point d’assouvir un quelconque désir de création spontanée, contrat de disques avec l’étiquette Sub Pop en prime. Dan Boeckner, lui, semble très peu perturbé par ce constat et relativise le tout. "Lorsque tu décides d’amener sur scène un projet musical tel que celui-ci, l’expérience scénique l’emporte et tu es inspiré. Le contraire serait ridicule. Avec Alexei, la matière brute créative ne manque pas. Lorsqu’on a sorti Face Control et qu’on s’est retrouvés en tournée dans les Balkans, en Asie du Sud-Est et en Chine, nous sommes devenus obsessionnels. Moi, j’enregistrais les sons ambiants de la rue et la musique que j’entendais dans les quartiers. Alexei sortait son calepin et prenait en note notre itinéraire et les anecdotes. Sound Kapital, c’est ça. C’est tout simplement le résultat d’une expérience qui a duré plus longtemps que prévu."

Le son a lui aussi radicalement changé avec ce disque. Boeckner avait conservé ses réflexes de guitariste lors des deux précédents opus réalisés par le duo, qui a toujours fricoté avec l’électro. Très synthétique, le dernier album joue avec une théâtralité presque plastique (avec la voix spectrale de Boeckner), inspirée par des images qui accompagnent la production lorsque vous ouvrez la pochette. "Matthew Niederhauser est un photoreporter que nous avons rencontré en Chine, un bon ami d’Alexei, explique l’artiste. Selon moi, c’est celui qui a le meilleur regard sur ce qu’est ce pays. Cette "nouvelle Chine" dont on parle tant et qui se transforme pour devenir ce gigantesque monstre. Les gens y vivent sans trop s’en rendre compte. C’est ce que tu vois dans ces photos. Cette immense piscine publique à Beijing, par exemple, située en plein centre-ville. C’est absurde. J’ai l’impression que l’homme peut s’adapter à tout, et c’est angoissant. Les gens que tu y vois se croient à la plage, il y a des palmiers artificiels et un décor qui représente l’océan. Mais ce n’est pas vrai, ce n’est qu’un parc industriel aquatique dans l’une des plus grandes villes au monde. Je trouve ça fascinant!"

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