Coeur de pirate : Les voiles au vent
Après la parenthèse Armistice, Coeur de pirate propose son deuxième album solo, Blonde, un disque racontant ses récentes histoires d’amour et plus chargé musicalement.
"Lève les voiles, ô voilier blanc / Mais lève au vent qui tourne / Lève les voiles sur d’autres chemins / Rêvant de voir la fin", entonnent Les Petits Chanteurs de Laval et Les Voix boréales en ouverture de Blonde, deuxième disque attendu de Coeur de pirate.
Aussitôt la dernière note terminée, l’abonnée des vols transatlantiques poursuit avec le rythme très Bo Diddley d’Adieu. Les arrangements rétro sont signés par le musicien canadien Michael Rault, un expert des sonorités vintage. L’orgue, la réverbération, les guitares électriques incisives et l’usage du trémolo dynamisent l’univers musical de la chanteuse qui gagne en caractère, en force de frappe. On comprend alors que les ballades naïves du premier album homonyme font ici place à plus de mordant, une tendance confirmée par les titres suivants: Danse et danse (aussi arrangé par Rault) et Golden Baby produit par Benjamin Lebeau du duo français The Shoes (Gaëtan Roussel, Shakira). La dégaine est plus insidieuse. Garçons, prenez garde, ne vous moquez pas de Coeur de pirate, elle pourrait vous le faire regretter comme dans le vidéoclip d’Adieu, dans lequel elle fait disparaître ses ennemis à coups de baguette magique.
"Je ne crois pas que ce début d’album rythmé visait à me donner plus de caractère ou à me dissocier du premier disque, précise Béatrice Martin. Les musiques sont directement inspirées des propos des chansons. Mais il y a une évolution sonore, c’est certain. Comme t’as pu l’entendre avec mon projet Armistice, j’aime beaucoup le son de Nancy Sinatra, le côté désertique de ses productions avec Lee Hazlewood. J’aime aussi la réalisation de Björn Yttling sur le nouveau Lykke Li. Blonde comporte quand même quelques ballades au piano, mais mon rapport à l’instrument a changé", explique celle qui voit maintenant le clavier d’ivoire comme un vieil ami qu’elle retrouve quand le tonnerre gronde. "C’est le rôle qu’il joue sur le disque. Car à la maison, je m’en sers comme un confessionnal, comme un journal intime pour me vider le coeur et me défouler."
Ultramoderne solitude
Placées en fin de parcours, les déchirantes Place de la République, Cap Diamant et Petite mort sont nées de cet exercice d’abandon, de ces amours perdues ou rendues précaires par l’absence et la distance. Car Coeur de pirate ne s’en cache pas, les 12 pièces de Blonde (14 si vous achetez l’édition limitée) sont 100% autobiographiques et immortalisent différentes étapes de ses deux dernières histoires d’amour, des romances complexifiées par le quotidien atypique de la chanteuse et ses 600 000 albums vendus (singles et numériques inclus) dans la francophonie.
"Même quand tu te retrouves au top, il y a une solitude qui s’installe. Tu voyages tout le temps, c’est très difficile de conserver tes amis. La vie amoureuse n’est vraiment pas facile parce que tu changes constamment de continent. Tout le monde me parle de mon métier, à quel point c’est le rêve… Ça l’est, mais les moments de solitude sont intenses et c’est en parlant de ça avec d’autres musiciens qui vivent la même chose que j’ai bien cerné le problème. J’ai beaucoup appris en parlant avec ces gens-là, ça a cliqué et je suis tombée amoureuse. Mais j’ai trop aimé sans être là. J’ai eu tendance à m’investir jusqu’à m’oublier. Je suis devenue hyper dépendante, et Blonde me permet notamment de faire le point sur mes erreurs."
Le syndrome de l’imposteur
Au téléphone depuis la salle d’attente du Toronto City Airport, où elle attend un vol qui la mènera à New York pour une séance photo commandée par la revue sur le tatouage Inked, Coeur de pirate donne l’image d’une artiste fragilisée par un certain manque de confiance en soi combiné à une popularité instantanée survenue à l’âge de 18 ans. "Je le vois davantage comme un sentiment d’imposture difficile à gérer. À la base, je suis pianiste de formation classique. Comme j’ai commencé à chanter plus tard, je ne me suis jamais considérée comme une bonne chanteuse. J’étais au sommet des ventes, je venais de gagner le prix Victoire de la chanson populaire de l’année, et la seule chose à laquelle je pensais était ces commentaires blessants publiés sur le Net par des internautes anonymes. Tu sais, quand t’as 18 ans, tu veux juste plaire à tout le monde. J’ai dû beaucoup travailler sur moi-même. Me dire que je méritais cette place et que peu importent les commentaires adressés à mon endroit, il y a des gens qui aiment Coeur de pirate. C’est un travail mental constant."
Si les multiples voyages la privent de toute stabilité, Béatrice avoue bien vivre avec la situation. De toute façon, elle serait incapable de rester plus de deux semaines au même endroit. "J’ai un déficit d’attention du voyage. Peu importe si je suis à Montréal ou Paris, après deux semaines, je dois partir. Montréal, c’est mes pantoufles, ma famille. J’y suis bien, mais il y a aussi beaucoup d’histoires associées à cette ville. Parfois, ça devient étouffant, surtout l’hiver. Paris, c’est beau, ça brille, mais je m’ennuie vite de mon pot de beurre de pinotte Kraft", confie celle qui a coréalisé l’album avec Howard Bilerman, en plus de convaincre Sam Roberts de chanter en français avec elle pour la pièce Loin d’ici.
Peu importe qu’elle égale ou non les chiffres de ventes de son premier album avec Blonde – la barre est très haute -, Coeur de pirate n’a pas fini de lever les voiles vers d’autres chemins. "Ça va, j’ai ma mélatonine, un produit naturel qui m’aide à combattre les effets du décalage horaire."
Coeur de pirate
Blonde
(Grosse Boîte)
En vente dès le 8 novembre
Coeur de Pirate est un antidote au cynisme ambiant d’une certaine tendance rock qui se costume tout en noir et qui carbure à l’auto-mutilation musicale pour mieux nous faire avaler l’indigence de son propos.
Elle est un peu la soeur cadette de Catherine Major, à qui elle ressemble beaucoup. Toutes deux trouvent réconfort devant leur cher piano, la demeure privilégiée de leur oreille musicale.
Il n’y a rien de naïf chez Béatrice Martin, et sa voix chétive nous trompe à merveille à cet égard. La pirate écume des mers de musique mais avec une telle légèreté qu’on ne voit plus son bateau, ce piano qui la conduit loin des fausses notes.
Et j’aime ses tatouages, très visibles sur son corps, les gardiens silencieux et très clairement dessinés de ses étonnements d’enfant très peu sage.
Enfin, disons-le, la vie de la génération à laquelle appartient Béatrice Martin n’a pas de mémoire historique. Mais elle cherche des repères ailleurs que dans les confrontations définitives.Leurs amours voyagent rapidement pour mieux retrouver en fin de parcours le bon port encore vivant malgré tout, celui où va se reposer le cher Coeur de Pirate, celui de ses parents.