Arno : Quel bazar
Musique

Arno : Quel bazar

Arno est conscient du personnage qu’il a créé et s’amuse avec lui comme un savant fou. Il se prête au jeu de l’entrevue et porte un regard lucide sur tout le bazar.

La voix éraillée est caractéristique et nous fait parfois penser à celle de Bashung, sauf que l’accent trahit les racines flamandes de l’individu en question. Le chanteur belge Arno l’a d’ailleurs bien connu, ce Bashung, du moins au cinéma, où les deux artistes de la chanson se rencontrent dans une scène du film J’ai toujours rêvé d’être un gangster de Samuel Benchetrit. Chacun y joue son propre rôle, et Arno va même jusqu’à accuser l’autre de lui avoir volé une chanson (Gaby oh Gaby, rien de moins), alors que le grand Alain lui reproche d’être parti avec sa muse: Swann. Un souvenir impérissable pour celui qu’on a surnommé très longtemps "le Jacques Higelin belge".

"Mais je ne suis pas Higelin, je suis Arno, rectifie-t-il en riant. Et je ne suis pas Tom Waits non plus, d’ailleurs il est plus jeune que moi. Pour Gainsbourg, que les gens me collent à la peau, je dois avouer que je n’ai aucun disque de lui chez moi. Moi, ce que j’écoutais comme musique, c’était Howlin’ Wolf. Je ne sais pas pourquoi, les journalistes, ils comparent tout le temps. Ils oublient que je suis beaucoup plus beau que Waits et Gainsbourg réunis! Je me dis souvent à moi-même: Arno, quand tu es seul, tu es le plus beau!" rigole-t-il de bon coeur.

Avec l’artiste, on ne s’ennuie pas. L’entrevue tourne vite à la conversation, et la rigolade vient colorer cet entretien. L’auteur-compositeur-interprète, qui chante autant en français qu’en anglais et en flamand, ne fait rien comme tout le monde et déteste le boniment promotionnel d’usage. Pour son 18e album solo en carrière, intitulé Brussld, Arno pense plutôt à son retour au Québec et à la scène, qui a forgé sa réputation. "Là, je reviens tout juste de La Réunion, j’ai montré mon cul au soleil! Les gens y sont très sympathiques, mais c’est comme la Côte d’Azur… et ça je n’aime pas. Maintenant, je vais venir chez vous au Québec et j’aurai un nouveau costume. Il faut être propre quand on va chez les gens!"

Le cul dans le beurre

À l’écouter parler, les années de galère n’ont pas eu le dessus sur l’amour que porte l’auteur-compositeur-interprète à son métier. Surtout pas la route et les voyages, qui sont le lot quotidien de l’artiste depuis des lustres. Depuis la fin des années 80, avec son groupe new wave TC Matic, et jusqu’à aujourd’hui, à 61 ans, Arno ne cesse de revenir aux concerts. "Lorsque je ne suis pas en tournée, je tombe dans un trou et c’est la dépression. Je suis accro. Sans public, je ne suis rien. Sur la route, je suis à l’hôtel, je ne fais pas le ménage et on me fait la bouffe. Je chante et je rencontre des gens. Moi, je fais des disques pour être en tournée, pour voyager avec ma petite planète. Mon guitariste est allemand, mon batteur est belge, mon bassiste est yougoslave et ma choriste est marocaine. Mon pianiste, lui, il est flamand. Moi, eh bien, je suis Jésus-Christ! Tout le monde sait ça, Jésus-Christ est un Belge!" s’esclaffe-t-il.

Sa musique aussi voyage. Même sa reprise de Get Up, Stand Up de Bob Marley (une version piano-voix percutante) tend à avoir le dessus sur la version originale. Une spécialité dans sa carrière (son disque Covers Cocktail nous le confirme), alors que l’artiste nous a déjà livré auparavant des versions mémorables de Mother’s Little Helper des Stones, de Comme à Ostende de Léo Ferré et du Bon Dieu de Jacques Brel. Même le groupe Queen (avec I Want to Break Free) est passé à la moulinette d’Arno. Pour lui, Marley est un autre coup de coeur qui s’imposait. "Get up! Stand up! J’ai vu ça à la télévision dans les pays arabes. Le monde est en train de changer, il est en crise, il y a quelque chose qui se passe et les jeunes sont là! Moi, j’ai vécu le cul dans le beurre. J’étais le roi et j’ai tout vu: le rock’n’roll et Katmandou. Tout ça en paix! Maintenant, c’est autre chose, c’est la violence et on se dispute sur tout. Je suis furieux et ça me rend triste aussi. Tu vois le bazar? J’ai parfois peur d’être fou, car j’ai l’impression qu’on est en train de vivre les années 30 en Europe." Et la suite, on connaît.

Rien de nostalgique dans tout ça, et Arno insiste pour dire qu’il ne veut pas revenir sur le passé. Même lorsqu’il doit revisiter son oeuvre, cet oiseau de nuit qui a rendu fou son canari s’amuse à tout réinventer en passant par le blues, le folk, le rock et la chanson classique. Ce qui lui donne du même coup cette réputation d’aventurier de la chanson qui ne respecte aucune règle, sauf parfois celle de l’excès. "Je suis un pot-au-feu, un mélange de tout. Parfois, j’ai tout oublié et je découvre ce que j’ai fait. Par exemple, ces chansons que j’ai écrites pour un film de Michel Piccoli (Alors voilà) et Faut-il aimer Mathilde? (d’Edwin Baily). Ce sont des flash-back, rien de plus… Allez, va! Surtout n’oublie pas, si tu fais des bêtises, tu m’appelles!"